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L’humanité tourne dans un cercle, et son histoire tourne dans un perpétuel recommencement. Et un amer : A quoi bon ? où Ion sentait passer toute l’énergique vibration d’un profond sentiment personnel formait comme le leitmotif et la conclusion dernière de l’ouvrage.

Et pourtant, l’auteur de l’Essai reste bien un disciple des Encyclopédistes. « Plein de son Raynal, » — c’est lui qui l’avoue, — et de Voltaire, de Diderot, de Bayle et de Volney, Chateaubriand se fait l’écho docile de leurs préjugés « philosophiques. » La religion, toutes les religions, ont pour unique fondement « la crainte de la mort, » et se confondent avec la « superstition. » « Les religions naissent de nos craintes et de nos faiblesses, s’agrandissent dans le fanatisme et meurent dans l’indifférence. » Les prêtres sont « des hommes adroits, » qui exploitent par intérêt « ce penchant de la nature humaine à la superstition, » « afin de dompter les peuples, par l’ignorance, au joug de la tyrannie civile et religieuse. » Pas de différence entre les divers cultes à cet égard. « Les prêtres de la Perse et de l’Egypte ressemblèrent parfaitement aux nôtres. Leur esprit se composait également de fanatisme et d’intolérance[1]. » Voltaire, on le voit, n’aurait pas mieux dit.

Il eût aussi largement approuvé la façon quelque peu sommaire dont l’auteur de l’Essai esquissait l’histoire des origines chrétiennes. D’abord, « rien ne paraît moins prouvé que l’existence du Christ. » Mais n’allons même pas jusque-là. « Admettons la réalité de sa vie et l’authenticité des Evangiles. De la simple lecture de ceux-ci résulte le renversement de la divinité de Jésus. » Il n’est qu’ « un homme extraordinaire » qui ressuscitait, il est vrai, des morts, parmi la canaille. » « Quant à sa résurrection, un peu de vin et d’argent aux gardes en explique tout le mystère. » — Pareille simplicité d’explication pour l’histoire du développement chrétien : « Le mystère de la Trinité est emprunté de l’école de Platon. » « Pourquoi ces

  1. Essai (Œuvres complètes de Chateaubriand, t. I, Paris, Garnier, s. d. gr. in-8o), p. 363, 354, 362, note 5 ; 569, 567, 410, 596. — Je renvoie à cette édition, parce qu’elle est la seule qui contienne les notes de ce qu’on est convenu d’appeler, je ne sais trop pourquoi, l’Exemplaire confidentiel : c’est un exemplaire sur lequel, peu après la publication de l’Essai, Chateaubriand avait écrit des notes manuscrites assez curieuses. Cet exemplaire, acquis par Sainte-Beuve, a été racheté, après la mort du critique, par la famille du grand écrivain. On trouvera ces notes aux pages 324, 325, 330, 389, 463, 469, 470, 504, 508, 509, 510, 521, 522, 529, 536, 538, 541, 542, 565, 587, 593, 607, 623 de l’édition Garnier.