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lectures et des déclamations philosophiques[1] ; et il suffira d’une crise morale pour l’en dégager.

« L’Essai, a dit avec raison Chateaubriand, n’était pas un livre impie, mais un livre de doute et de douleur. » Livre profondément sincère d’ailleurs, et dont les contradictions mêmes nous font saisir sur le vif la diversité des influences qui se disputent cette âme ardente et mobile. Tantôt, docilement, et comme du bout des lèvres, avec une sécheresse qui ne laisse pas d’être significative, il répète sans originalité les leçons, d’irréligion qu’il a puisées dans le commerce et dans les livres des philosophes ; tantôt, avec une chaleur toute personnelle d’accent, il exprime son inquiétude, et sa curiosité croissante des choses religieuses. Évidemment, son siège n’est pas fait, et il n’a pas dit encore son dernier mot. Car que son livre, en posant tout à la fin le problème religieux, s’abstienne de conclure, cela prouve au moins que pour lui, la question reste ouverte encore. Et, sans doute, nous sommes éclairés par ce qui va suivre, et nous avons aujourd’hui beau jeu à prévoir l’avenir. Mais il semble pourtant qu’à lire de près cet « étonnant » Essai sur les Révolutions, comme l’appelait, paraît-il, Armand Carrel, un lecteur contemporain et clairvoyant aurait pu pressentir que l’auteur était à la veille d’une crise religieuse.


VII

Le propre des grands événemens tels que la Révolution française est de déterminer dans une foule d’âmes des états moraux qui tantôt les rapprochent, tantôt les opposent violemment les unes aux autres. On se croyait différent, et on se retrouve semblable. On se croyait frère, et on se retrouve ennemi. Il est facile de vérifier la première observation à propos d’un certain nombre de contemporains de Chateaubriand, dont l’évolution peut servir à éclairer la sienne.

Presque en même temps que l’Essai sur les Révolutions paraissaient, également sous l’anonyme, deux ouvrages dont les auteurs allaient jouer, eux aussi, un rôle dans l’histoire des

  1. En extrayant un certain nombre de pages de l’Essai sur les Révolutions et en les publiant à la suite les unes des autres, on pourrait composer un véritable Génie du Christianisme abrégé. Voyez à cet égard nos Pages choisies de Chateaubriand, Hachette, 1911, p. 47-52.