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Il lut aussi, puisqu’il les acheta, paraît-il, à Milan, les Considérations sur la France, dont la cinquième édition était alors en vente. Sous une forme plus ramassée et plus brillante, avec des vues d’avenir parfois singulièrement profondes, Joseph de Maistre y exprimait des idées analogues à celles de Bonald. « Toutes les institutions imaginables, écrivait-il, reposent sur une idée religieuse, ou ne font que passer. » Et, fort de cette conviction, il déclarait que « tout vrai philosophe doit opter entre ces deux hypothèses, ou qu’il va se former une nouvelle religion, ou que le christianisme sera rajeuni de quelque manière extraordinaire[1]. » C’était répondre, en la posant avec plus de netteté, à la question même que Chateaubriand, on l’a vu, soulevait à la fin de son livre ; et, chez les deux écrivains, c’est le spectacle des événemens de France qui a provoqué cette rencontre d’idées et de préoccupations. Car si Joseph de Maistre, lui, n’a jamais cessé d’être chrétien, il semble pourtant qu’il ait été, dans la première période de sa vie, bien plus entamé par l’esprit du siècle que ne la jamais été Bonald. Ses premiers discours nous le montrent sous l’influence de Rousseau ; il était en relations avec les illuminés de Lyon, avec Saint-Martin et son école ; il était affilié à la franc-maçonnerie ; à Turin même, il passait pour un « jacobin[2]. » C’est la Révolution qui, en faisant de lui un émigré et un publiciste, a fixé ce mysticisme inquiet, ce vague besoin d’échapper aux formules traditionnelles, et l’a définitivement rangé aux côtés de Bonald.


Maistre et Bonald sont des croyans : Rivarol, lui, n’en est pas un ; mais c’est un homme d’esprit et de goût, et, comme tel, de très bonne heure, il a compris, et, s’il faut l’en croire, il a même un jour essayé de faire entendre à Voltaire que « l’impiété est la plus grande des indiscrétions. » La Révolution devait lui faire déclarer qu’elle est la plus dangereuse des erreurs sociales. En 1797, dans ce Discours préliminaire qui, à bien des

  1. Considérations, éd. originale, p. 77. Voyez tout ce chapitre V.
  2. Voyez, au tome I des Œuvres complètes de J. de Maistre, Lyon, Vitte, 1884, in-8, la Notice de son fils, p. VIII.