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mère ! elle était morte loin de lui, « sur un grabat : » à soixante-douze ans, elle avait connu la prison, les mauvais traitemens ; elle avait vu périr sur l’échafaud une partie de ses enfans, elle avait pleuré enfin sur les égaremens de son dernier né, de ce fils pour lequel elle avait rêvé le sacerdoce, et aujourd’hui devenu l’ennemi de cette foi chrétienne qui seule l’avait soutenue dans ses propres épreuves… Et peu à peu, voilà que du fond de son trouble et parmi ses larmes, surgissent, avec le remords « d’avoir empoisonné les vieux jours de sa mère, » les poétiques émotions de sa pieuse jeunesse : il revoit ces radieuses nuits de Noël dans la vieille cathédrale malouine, et toutes ces imposantes cérémonies qui avaient enchanté son âme peu choyée d’enfant : il s’attendrit, il s’attarde à ces touchans souvenirs… Mille pensées, hier peu écoutées, viennent maintenant l’assaillir. Est-il donc si sûr de son incroyance ? A-t-il donc de si bonnes raisons pour prendre contre sa mère le parti de ses bourreaux ? L’Essai est là pour répondre : n’y a-t-il pas entassé autant d’argumens pour que contre les croyances maternelles ?… Et son trouble augmente : il touche à un moment décisif, à l’une de ces heures de sincérité absolue où le fond de l’être apparaît, où les grands partis pris qui engagent toute la vie morale s’imposent avec une nécessité inéluctable : il faut « palier. » Entre la foi de sa mère et celle des terroristes, il ne peut plus reculer : il doit choisir…

Faire cause commune avec les meurtriers, et non avec les victimes : à cette seule pensée, tout son être se révolte. L’obscure poussée de son hérédité bretonne, une sorte d’horreur instinctive à l’idée de ne point penser comme les ancêtres, le souci chevaleresque de l’honneur[1], le besoin de défendre une cause, sinon désespérée, au moins momentanément vaincue tout cela s’agite et s’échauffe en lui, tout cela l’incline fortement à croire… Et pourtant, il hésite encore : est-il bien sûr que la vérité soit du côté où le porte son cœur ?… Mais qui donc lui a

  1. « C’est l’honneur qui a fait l’émigration ; c’est l’honneur qui a rappelé aux idées religieuses. » (Mme de Duras, note finale d’Edouard, citée par M. Baldensperger, art. cit.)