Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 3.djvu/841

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

perdit à sept ans. Toutes ces tristesses, jointes au spectacle de son père « luttant avec toute la noblesse d’un grand cœur et l’impuissance d’un honnête homme contre les injustices du sort, » contribuèrent, d’après son propre aveu, à développer chez lui « un mélange d’ironie sceptique et moqueuse longtemps uni à une tendresse nerveuse. « Tout enfant, ajoute-t-il, j’ai eu des passions d’amitiés ardentes et de funestes découragemens. Cependant je n’avais lu ni Rousseau, ni Byron. » Mais ce qu’on a nommé plus tard « la fièvre romantique » était déjà dans l’air. Et si l’ironie sceptique et moqueuse du petit Parisien semble s’être émoussée dans l’expérience de la vie, sa nervosité sentimentale restera, jusqu’à la fin, la cause de ses plus vives jouissances et de ses plus amères douleurs. Si sa sensibilité enfantine souffrait déjà des soucis domestiques trop visibles autour de lui, sa conscience et sa volonté se trouvaient, d’autre part, déjà formées et préparées par les exemples de probité, de délicatesse, de tendresse multiplies à son entour. L’un de ses frères, sa plus grande sœur, Mme Richomme, et une simple employée du magasin, « fille au grand cœur » dont le dévouement devait l’accompagner dans toute sa vie, furent d’admirables consolateurs de sa première jeunesse.

La nature est d’ailleurs une seconde mère pour les orphelins. Déjà, avant son deuil, l’enfant, ayant été envoyé en pension à Choisy-le-Roi, avait éprouvé, dans ses promenades aux champs, des impressions qu’il ne devait jamais oublier. Le magasin obscur où il grandissait, — à l’heure même où Corot en faisait autant dans un salon de coiffeur-modiste au coin de la rue du Bac, et Decamps dans un bureau de changeur rue du Mail, — et la cour triste et froide dont les murs sales étaient son habituel horizon ne l’emprisonnaient plus constamment. Son père, désireux de l’instruire, l’avait envoyé, comme externe, d’abord au collège Napoléon (Henry IV), puis au collège Bourbon. En allant à ce dernier, l’écolier traversait les ponts. Soir et matin, comme Corot sur le seuil de sa porte, il avait le merveilleux spectacle du grand fleuve roulant ses eaux, claires ou troubles, entre ses berges, moins encaissées qu’aujourd’hui, et couvertes alors de hauts bouquets d’arbres, sous les lumières, nacrées ou empourprées, des crépuscules éternellement divers, éternellement enchanteurs. On faisait aussi l’école buissonnière, on grimpait au Louvre où, jusqu’en 1815, le Musée Napoléon réunissait