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V

Nous connaissons l’homme. En compulsant l’énorme dossier de documens, lettres, notes, rassemblés par la piété filiale, nous le connaissons, à fond, au physique et au moral, presque aussi bien que s’il nous avait laissé son journal intime et confidentiel, comme l’a fait Delacroix. Paul Huet est si communicatif, si familier dans ses lettres, qu’on ne peut guère douter de leur entière sincérité. Au physique, c’est bien le petit homme, nerveux et inquiet, qu’en notre jeunesse, nous voyions rêver dans la Pépinière du Luxembourg, ou cheminer, dans la grande allée, vers l’Observatoire, en compagnie de Michelet, Sainte-Beuve, Préault, Eugène Pelletan ou quelques autres survivans de la glorieuse phalange dont nous vénérions les noms et les personnes.

« Petit, nous dit son fils, mais bien proportionné, la tète fine, des yeux bien enchâssés, vifs, qu’il fermait à demi, lorsqu’il fixait, sur un objet ou une personne, son regard clair très pénétrant. Un sourire bienveillant, avec une nuance de raillerie, qu’on devinait dans sa barbe plus qu’on ne le voyait, mais les yeux riaient plus que la bouche. La physionomie, habituellement un peu grave et triste, le front haut et bombé, sillonné de veines aux tempes, sous des cheveux bruns et bouclés. Très myope, il a toujours porté lunettes, et souvent se servait d’une lorgnette pour étudier le dessin des objets ou figures. Nerveux, sanguin, ardent à tous les exercices, agile et adroit, réservé, très doux, d’un commerce facile et bienveillant, mais d’une violence extrême si on abusait de sa bonté ; il avait alors des colères terribles. »

Au moral, tous ses amis, tous ses confrères, tous ceux qui l’ont approché sont unanimes à le juger de même sorte : au lendemain de sa mort, Michelet écrivait au Temps : « Il était né triste, fin, délicat… Une femme a bien dit : nul n’a eu plus le sens des pleurs de la nature… C’était plus qu’un pinceau, c’était une âme, un charmant esprit, un cœur tendre, et beaucoup trop, hélas !… Qui nous rendra jamais cet aimable voisin, cet ami du foyer, ses visites du soir ? La place y est vide. Je l’attendrai toujours. » Sainte-Beuve ajoute dans une note à ses Portraits contemporains : « Ce n’était pas seulement un talent,