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l’antinomie entre l’esprit d’Euripide et ses sujets ; il l’a donc acceptée ; mais avec toutes sortes d’embarras et de réserves qu’il est intéressant d’étudier un moment.

Euripide accepte la loi de la réversibilité de l’expiation. Il fait dire « Hippolyte lui-même : « Je succombe à cause des fautes des Pallantides. » Il n’y a rien de plus clair, il n’y arien de plus théologique, de plus orthodoxe.

Euripide, à mon avis, l° accepte la loi de réversibilité expiatoire ; 2° l’explique, la commente, l’adoucit, lui donne un tour ; 3° ne peut point, naturellement, s’empêcher de l’incriminer et de protester contre elle.

Donc Euripide a été extrêmement frappé, obsédé, torturé même, comme tant de philosophes et tant de poètes philosophes grecs par la présence du mal sur la terre ; il l’a trouvée souverainement injuste ; il a trouvé qu’il y avait là de quoi exécrer les Dieux ou douter de leur existence ; dans cette pensée, il a été souvent jusqu’à des paroles athéistiques, très graves, très audacieuses, qu’il n’a émises que couvert par ses personnages et d’une façon très impersonnelle, extrêmement graves et audacieuses pourtant, et qui font parfaitement comprendre que les Athéniens, tout en l’adorant, aient si rarement, — si rarement que c’en est invraisemblable, — couronné ses tragédies ; enfin cette existence du mal sur la terre, il l’a quelquefois, très peu de fois, expliquée un peu d’une façon qui n’était pas trop défavorable aux Divinités.

Reste qu’il sapait la mythologie et que ce n’est pas une erreur d’Aristophane d’avoir cru qu’il la battait en ruine.

A-t-il conclu ? S’est-il arrêté à une doctrine nette, précise, bien délimitée et bien définie ? Il semble que non. Si l’on consulte sa probablement dernière pièce, qui est tout au moins une des dernières et qui fut écrite dans sa vieillesse, on trouve en lui une philosophie mélancolique, désenchantée, découragée, résignée et pieuse (j’entends toute parfumée de vie intérieure et contemplative). Le stoïcisme, qui n’existe pas encore, semble être déjà là et en vérité y est déjà ; car Euripide a été un précurseur en beaucoup de choses, et il a tant d’avenir dans l’esprit qu’antérieur à Socrate, il semble être son disciple, et qu’antérieur à Zénon, il semble avoir conversé avec lui.

Ce stoïcisme tendre et qui n’a rien du stoïcisme tendu, et qui est répandu dans les Bacchantes, en voici comme les for-