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Foligno qui lui a inspiré naguère l’un des plus éloquens chapitres de ses beaux Pèlerinages Franciscains. Celle-là aussi a eu de nombreux entretiens avec le Christ, et nous a laissé maintes traces de la manière dont elle appliquait au soulagement des maladies morales la divine lumière qu’elle en retirait. Vues du dehors, les deux œuvres mystiques de sainte Marguerite et de sainte Angèle semblent avoir un caractère et une portée sensiblement analogues. Inspirées manifestement, l’une et l’autre, du plus pur esprit franciscain, elles attestent un effort constant à utiliser, en quelque sorte, au profit de la pratique familière de chacun de nous, la contemplation passionnée du drame évangélique. Et cependant, sous cette similitude extérieure, quelle différence infinie entre les deux œuvres, comme entre les deux âmes d’où elles ont jailli ! C’est à croire que, vraiment, la visionnaire de Foligno et celle de Laviano incarnent en elles les deux génies opposés de leurs races : l’une tout imprégnée de la tendre et délicate « poésie » ombrienne, l’autre de ce que l’on pourrait appeler la brûlante « prose » toscane et apportant à l’exercice des facultés de l’esprit la même exaltation fiévreuse qu’apportent les compatriotes de saint François d’Assise au libre épanchement des élans du cœur. La peinture de Giotto ou de Masaccio en regard de celle de Gentile de Fabriano et d’Allegretto Nuzi ; l’Enfer de Dante comparé aux Laudes Spirituelles de Jacopone de Todi : c’est le même contraste qui nous apparaît entre les visions de sainte Marguerite et de sainte Angèle.

Qu’elle s’entretienne avec Jésus ou qu’elle se retourne vers nous, cette dernière n’est rien que musique et que poésie. Avec une pénétration psychologique, en somme, assez ordinaire, la douceur immortelle qui nous ravit et nous émeut dans ses paroles surtout tient à ce que celles-ci sont proprement un chant, une effusion toute « musicale » des sources les plus profondes de l’âme, à la façon de ce Cantique du Soleil dont les générations ne se lasseront pas de sentir la mystérieuse et vivante beauté. « Celui qui aime, nous dit-elle, se change tout entier en l’être qu’il aime. » Tous ses écrits abondent en images exquises, en charmantes trouvailles d’émotion ou de langue ; sortis de son cœur, ils trouvent aussitôt le chemin du nôtre.

Mais, au contraire, Marguerite de Cortone s’adresse avant tout à notre pensée. Plus ardente encore que sa sœur ombrienne, elle ne cesse pas de nous décrire les abîmes de sa propre faiblesse et les sombres ornières de folie ou de crime qu’elle découvre en nous, avec une puissance d’exploration psychologique qui, revêtue de la verve