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Elle seule, des nuits et des nuits veillera
Pour mieux se rappeler tes heures d’agonie.
Et plus tard, quand bien vieille, elle écoutera rire
Tous ses petits-enfans autour de son fauteuil,
Elle demeurera pensive et sans rien dire,
Le cœur triste à jamais, le front toujours en deuil,
Évoquant ta jeunesse ardente, pieuse et douce,
Ton existence calme, unie et sans secousses,
— Jusqu’au dimanche de juin où tu mourus, —
En redisant ton nom qu’on ne connaîtra plus[1]


Il y a sans doute une exagération de parti pris lilial et, par là, littéraire, dans les poèmes de jeunes hommes où le mot « Dieu » éclate, d’un vers à l’autre, dominant le texte, comme le font ailleurs les vocables d’amour. Mais lorsque ces états d’âme ne sont point l’effet d’une compression d’éducation ou d’une « manière, » mais bien le résultat d’une nature affinée, d’une conscience sincère et scrupuleuse, on s’avise que cette piété masculine ajoute, à la lyre poétique, une corde d’argent dont la sonorité est nouvelle.

Il reste que ceux qui n’ont pas eu à conquérir la foi sur le doute, le goût de pureté dans les défaites du désir, sont certes, au point de vue religieux, des âmes précieuses, mais, au point de vue poétique, ils nous touchent moins ; on ne fait, avec eux, aucun voyage de recherches, on ne court aucun risque, aucune aventure. Ils sont nés dans un port de certitude, ils s’y trouvent bien, ils ne hissent point leur voile pour s’exposer aux tempêtes du large. Leurs élans d’adoration ont, dans leur pureté, la monotonie et l’anonymat de ces piliers, tous pareils, qui s’élèvent du parvis d’une cathédrale pour porter la voûte.


V

La femme est toujours plus lente que l’homme à se laisser toucher par des considérations d’ordre philosophique et critique. Chez nous, elle était restée croyante, alors que le positivisme, le renanisme et l’indifférence avaient, plus ou moins gravement, atteint la jeunesse masculine. À l’heure où le sentiment religieux rentre dans le lyrisme, elle demeure en retard d’une étape. Elle ne fait que s’engager sur ce terrain de la non-croyance

  1. M. François Mauriac.