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Aucune de ces poétesses ne paraît être troublée par le problème de l’au-delà ; elles sont surprises de s’apercevoir que des sentimens de crainte, de scrupules, de pudeur qui, jadis, étaient la part de femme, semblent s’épanouir, à mesure qu’elles s’en dépouillent, dans l’âme des hommes.

Quelques-unes s’avisent que ceux de leurs compagnons qui n’abritent point de mysticité, de piété dans leurs cœurs, ont tout de même une tendance à se distraire d’elles et de l’amour qu’ils leur portent pour s’adonner à l’action, chastes et dédaigneux comme l’Hippolyte grec. De là un mouvement où la coquetterie blessée a sa part, qui rejette la femme vers elle-même et la dispose à rechercher, dans la société des autres femmes, les admirations et les délicatesses indispensables à son bonheur.

Mme Renée Vivien, qui vient de mourir en plein talent et en pleine jeunesse, demeure comme un exemple des tortures d’âme où aboutit, même dans l’art, ce dédain des lois naturelles,

Jaillie d’une race puritaine, transplantée en France, elle a senti, elle aussi, passer sur elle cette moderne brise mystique qui sort de la vieille cathédrale. Avec une gravité, derrière laquelle se font jour ses hérédités d’angoisse religieuse, elle s’est demandé ce qu’elle dirait au « Maître » quand, au soir du Jugement dernier, elle comparaîtrait devant lui. De ses luttes, de ses révoltes, est sortie cette pièce terrible et pathétique Ainsi je parlerai, on la beauté de la forme soutient la sincérité de sentiment d’une âme désespérément inquiète, et éperdue d’orgueil :


Si le Seigneur penchait son front sur mon trépas,
Je lui dirais : Christ, je ne te connais pas.
Seigneur, ta stricte loi ne fut jamais la mienne,
Et je vécus ainsi qu’une simple païenne…
… Vois l’ingénuité de mon cœur pauvre et nu.
Je ne te connais point. Je ne t’ai point connu.
J’ai passé comme l’eau, j’ai fui comme le sable.
Si j’ai péché, jamais je ne fus responsable…
… Et maintenant. Seigneur, juge-moi. Car nous sommes
Face à face, devant le silence des hommes…
Autant que doux l’amour me fut jadis amer.
Et je n’ai mérité ni le ciel ni l’enfer.
J’écouterai très mal les cantiques des anges.
Pour avoir entendu jadis des chants étranges…
… Laisse-moi, me hâtant vers le soir bienvenu,
Rejoindre celles-là qui ne t’ont point connu…