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Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 4.djvu/159

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lui une consolation au milieu de tant d’épreuves. Le passage suivant d’une lettre adressée par lui aux siens à cette époque rappelle la célèbre épître de saint Paul énumérant aux Corinthiens les dangers et les traverses de son apostolat :


J’ai fait des efforts surhumains pour me rendre à mon poste. J’ai parcouru en tous sens le Bas-Congo sur une longueur de cent dix milles ; la faim, la soif, la chaleur m’ont accablé ; j’ai couché bien des fois à la belle étoile sur la terre nue, exposé au brouillard et aux attaques des crocodiles dans les rivières, dévoré par des milliers de moustiques qui ne me laissaient pas un moment de repos. Je me suis exposé sur le fleuve où, une fois, j’ai failli périr, emporté par un courant épouvantable, j’ai gravi des montagnes élevées où, pendant des journées entières, je ne trouvais pas une goutte d’eau pour étancher ma soif…[1].


Enfin le P. Carrie étant parvenu à réunir vingt porteurs à Landana, les amena jusqu’à Vivi et, le 6 juillet 1881, le P. Augouard, après avoir pris congé de son supérieur, s’engagea avec sa petite escorte dans le chemin de 380 kilomètres, réputé impénétrable, qui devait le faire aboutir au Stanley-Pool. Dix ans plus tard, les choses étaient bien changées : quantité de porteurs venaient dans les postes français et dans les factoreries proposer leurs services pour un prix équivalent à 40 francs par tête, et des milliers d’indigènes faisaient constamment la navette entre la côte et Brazzaville. Ces « routes » de l’Afrique équatoriale sont en réalité une succession d’étroits sentiers qui serpentent tantôt au milieu de hautes herbes coupantes atteignant jusqu’à 3 mètres de hauteur, tantôt dans la sombre forêt où l’on marche, à la file indienne, courbé ou rampant à travers mille obstacles. « Souvent, a écrit le colonel Marchand, le sentier se perd complètement et les heures se passent à creuser parmi les tiges vigoureuses et les troncs vermoulus un chemin de quelques mètres dans une demi-obscurité plus énervante que l’absence complète de lumière. » Souvent aussi la voie est obstruée par un torrent, par un arbre tombé en travers du chemin. On ne pourrait se tirer d’affaire sans guides, qu’il faut renouveler de distance en distance. Le voyage fut très accidenté : dès la première étape, le P. Augouard, occupé à dresser sa tente pour la nuit, reçut la visite d’un chef qui présenta

  1. Les passages imprimés en petits caractères sont empruntés à la correspondance de Mgr Augouard, publiée sous ce titre : Vingt-huit années au Congo, 2 vol., Poitiers, 1905.