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de près pour les empêcher d’abandonner leur charge dans les grandes herbes, d’autant plus que certaines pièces, comme la quille et les cloisons étanches, étaient fort incommodes à transporter. Avec toutes ces plaques d’acier, les PP. Augouard et Paris parvinrent à construire leur bateau, puis ils allèrent scier dans la forêt les madriers nécessaires pour les planchers, plats-bords, dunette, mâts, avirons, agrès, etc. Quelques semaines plus tard, le navire solidement peint par les nègres, et baptisé du nom de Léon XIII, voguait sur les eaux du Congo. Le P. Augouard en profita aussitôt pour remonter le fleuve jusqu’à l’embouchure de l’Oubanghi, immense rivière mesurant jusqu’à 30 et 35 kilomètres de largeur et toute parsemée d’îles. Dans la tribu des Baloïs où il s’arrêta, l’ivoire abondait à cette époque ; mais les indigènes étaient loin de se douter de la valeur de cette marchandise. Les missionnaires se trouvaient là au milieu d’une population anthropophage. Un soir qu’ils étaient campés dans une jolie crique, ils aperçoivent un être humain qui se débat dans les flots ; on l’en retire : c’est un pauvre enfant, scrofuleux, d’une maigreur effrayante, si misérable que les sauvages, ne l’ayant pas jugé comestible, l’avaient jeté à l’eau pour s’en débarrasser. Stupéfaits de voir que les blancs veulent le sauver, ils se disent que cette marchandise doit avoir cependant quelque valeur, et ils en négocient la vente pour une pièce de cotonnade. En 1887, le P. Augouard redescendit à la côte, en inaugurant une voie nouvelle de 560 kilomètres de Brazzaville à Loango de façon à ne pas quitter le territoire français, car il avait eu quelques difficultés avec les représentans de l’État indépendant. Après avoir gravi et descendu des montagnes, traversé des marécages et des fondrières, enfonçant dans l’eau et la vase jusqu’à la ceinture, avoir essuyé le feu des Basembés qui attaquèrent la caravane au milieu de la nuit, le vaillant missionnaire parvint, au bout de vingt-huit jours, au terme de son voyage. Dès le mois suivant, il se remettait en route avec le P. Carrie qui, nommé évêque du Congo, voulait, malgré son grand âge, affronter la terrible route du Pool pour visiter l’intérieur de son diocèse. À partir de Brazzaville, la baleinière, conduite par le P. Augouard, qui avait été promu à la dignité de grand vicaire, permit à Mgr Carrie de remonter le fleuve jusqu’à l’Oubanghi. Bien qu’on dût traverser ainsi plusieurs régions désertes, les vivres ne firent jamais défaut, car