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Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 4.djvu/169

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Au mois d’avril 1889, Mgr Carrie, qui avait dû lui-même quitter Landana attribué au Portugal, pour se fixer à Loango, envoyait les Pères Allaire et Paris fonder une mission à l’embouchure de l’Oubanghi, et il était déjà question d’en fonder une autre à 700 kilomètres plus loin. Un moyen de transport plus rapide devenait indispensable pour communiquer entre ces différens établissemens. Le P. Augouard, après avoir longtemps reculé devant la dépense, se décida à faire venir de France un moteur destiné à transformer son voilier en chaloupe à vapeur : les pièces de la machine, distribuées entre 106 indigènes, furent transportées en 30 jours de Loango à Brazzaville ; le 27 septembre 1889, elles étaient remises aux missionnaires par le contremaître Makosso qui, pour la circonstance, avait sorti d’une petite caisse un antique chapeau haut de forme, un pagne neuf, une chemise blanche dont les pans flottaient au vent et un vieil uniforme de général anglais ! Les porteurs, heureux d’être arrivés au terme du voyage, faisaient le tour de la mission en gambadant et en poussant des cris sauvages qui redoublèrent encore quand ils virent la viande d’hippopotame séchée depuis trois mois à leur intention. Aussitôt les Pères Augouard, Moreau et Allaire, aidés des conseils d’un mécanicien français, se mirent à la besogne. Un mois plus tard, le Léon XIII, transformé, filait à toute vitesse vers l’Oubanghi.

Les noirs appréciaient fort ce nouveau mode de locomotion car, au lieu de passer la journée à ramer, ils pouvaient maintenant se livrer aux douceurs de la sieste. En revanche, chaque soir, au débarquement, ils devaient aller dans la forêt scier des arbres et préparer le combustible nécessaire pour le lendemain. Arrivés ainsi en neuf jours à destination pour un voyage qui se faisait auparavant en un mois, les religieux installèrent la mission de Saint-Louis dans une région fertile, mais au milieu d’une population de cannibales.


Ici la chair humaine est un article ordinaire de boucherie et, sans honte, on nous offre une cuisse ou un bras d’homme pour dix ou quinze sous ! La plupart du temps, cette chair est mangée crue par les sauvages. qui, au demeurant, paraissent bons enfans et de joyeux caractère. Mais, à la première occasion favorable, ils vous décochent leurs sagaies et vous dépècent de la façon la plus naturelle du monde J’avais bien vu des anthropophages, mais pas aussi froidement sauvages que ceux-là Voilà mes paroissiens pour l’année prochaine ! Nous tâcherons d’en faire des hommes et des chrétiens.