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avait été frappé par le feu du ciel pour n’avoir pas voulu contracter amitié avec les blancs ! Le procureur général Cougoul, en requérant contre les accusés, a reconnu qu’ils étaient « victimes des idées dont tous les Congolais sont imprégnés ; il y a eu au Congo tant de crimes impunis, tant d’acquittemens scandaleux ! Ces hommes s’étonnent presque d’être accusés et, dans leur âme et conscience, ils s’absolvent. »

En effet, comme, suivant Toqué, on ne peut recruter les porteurs que par la violence, il faut bien massacrer ceux qui résistent ; aussi les mots : à fusiller, reviennent-ils constamment sur son registre.

Or, tel est l’état d’esprit des coloniaux que la condamnation de ces deux hommes à cinq ans de prison (peine qui fut commuée plus tard en deux ans) a paru d’une sévérité scandaleuse ! « À la sortie de l’audience, raconte M, Challaye, plusieurs ont manifesté leur indignation étonnée. Le soir et le lendemain, des discussions vives ont éclaté dans tous les milieux. On cite le cas d’amis de Toqué refusant de serrer la main non seulement aux juges et aux assesseurs, mais à ceux-là mêmes qui prennent leurs repas (font popote) avec eux[1]. »

C’est qu’aux yeux de ces coloniaux, les crimes commis sur les indigènes sont sans gravité. Tout semble permis vis-à-vis de « ces sales nègres[2]. » Le mal vient, d’abord, de ce que les agens de l’administration sont placés dans une position très difficile : « Il faut être indulgent, dit Mgr Augouard, pour les individus qui se trouvent dans l’alternative constante de perdre leur situation ou d’agir par violence. » En outre, les exactions aux dépens des nègres sont fatales, parce que l’avancement ne s’obtient qu’en raison directe de l’importance des recettes que chaque agent fait entrer dans les caisses de la Colonie. Enfin, beaucoup de ces agens sont des adolescens sans expérience qui

  1. Toqué lui-même s’est expliqué à ce sujet dans un livre (les Massacres du Congo) qu’il a publié à sa sortie de prison et qui jette un jour extraordinaire sur la mentalité de certains fonctionnaires de notre colonie.
  2.  » Quant à la façon de traiter les nègres, écrivait naguère (janvier 1897) le major allemand Boshart dans une lettre adressée à la Neue Deutsche Rundschau, voici à quel point de vue je dois me placer pour m’expliquer à ce sujet : nous n’allons pas en Afrique pour faire des grimaces philanthropiques, nous y allons uniquement pour créer de nouveaux débouchés à notre commerce et à notre industrie… Le nègre est un carnassier féroce et sanguinaire qui ne peut être tenu en respect que par l’œil et le fouet du dompteur. »