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Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 4.djvu/196

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Cela paraît étrange, à première vue. Et pourtant, qu’on se souvienne. La phraséologie bizarre de Fourier, l’extravagance de son « Harmonie sociétaire » masquent souvent des vues suggestives étonnamment profondes sur l’avenir. Nul avant lui n’avait envisagé et décrit avec tant de verve l’immense déperdition des efforts individuels dans la production alimentaire. Un des premiers, avec Bûchez, il a saisi la puissance de l’Association ; il a fait luire son prestige sur l’imagination des foules ; il en a implanté l’idée chez des ouvriers d’élite, que leur destin obscur avait marqués pour l’action.

Ceux-là, qui sont nos contemporains, n’ont pas lu, sans doute, en leur texte intégral, les œuvres absconses de leur maître. Mais ils en ont retenu une formule que leurs devanciers de 1848 avaient dédaignée, devenue pour eux obsédante, fatidique, à force d’avoir été imposée à leur attention par l’Ecole sociétaire : Travail, Capital, Talent. Ils y ont vu les trois facteurs de l’Association ouvrière. Le ressort en est le travail ; mais elle ne peut se développer sans le capital ; elle ne peut être bien conduite que par le « talent. » Le capital et le talent doivent être rémunérés au même titre que le travail. Travail ! Capital ! Talent ! cette formule magique résume désormais la quintessence de la doctrine fouriériste ; elle fait partie du rituel de toutes les cérémonies. À l’heure des toasts, dans un banquet d’Association ouvrière, le président la commente gravement, en saluant la mémoire du « Maître immortel. » Dans le recul du passé, Fourier est presque mis au rang des Dieux. C’est bien lui qui a révélé l’importance méconnue du capital ; mais c’est lui aussi qui a inspiré à la classe ouvrière l’idée contestable de faire appel au capital « bourgeois. »

À la vérité, sa doctrine n’est point pratiquée partout. Quelques Associations même, qui prennent le titre de « communistes, » présentent, à l’égard du capital, le type le plus pur de la coopération ouvrière.

Ces Associations versent à la réserve la totalité de leurs bénéfices : abandon superbe des travailleurs qui passent à la collectivité qui demeure ; d’autant plus généreux, qu’en se retirant, personne ne peut rien prétendre sur cette propriété pourtant créée par tous. Mais cet idéal, conçu par des fondateurs mystiques, dépasse singulièrement le niveau moyen de l’abnégation prolétarienne. On a persuadé au prolétariat qu’en donnant