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Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 4.djvu/205

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les « militans » du socialisme et de la coopération ont annoncé le grand triomphe du prolétariat organisé. La réalité a démenti tristement ces prophéties hâtives.

En 1886, la Société des houillères de Rive-de-Gier, trouvant son exploitation improductive, abandonna sa « concession » à ses ouvriers ; l’État, puis Mme Arnaud de l’Ariège, donnèrent à ceux-ci chacun 10 000 francs. Ces ouvriers, anciens paysans de l’Ardèche et de la Haute-Loire, qui ne voulaient point retourner à la terre, s’acharnèrent à la besogne, travaillant douze heures par jour. Ils parvinrent, avec des cordes usées et une machine de fortune, à « exhaurer » un puits abandonné. Leur malheur voulut qu’ils gagnassent un procès avec la Société des Houillères ; ils reçurent 200 000 francs. Cette aubaine les perdit. Désormais, ils n’admirent plus de nouveaux membres, pour n’être point obligés de partager ; leurs aspirations égoïstes et courtes se donnèrent un libre cours. On était riches, à quoi bon « s’esquinter ? » Ils travaillèrent mollement, pas même huit heures par jour : le rendement s’appauvrit. Ils prirent enfin le parti qui leur souriait depuis longtemps. Propriétaires d’un capital qui ne leur avait rien coûté, réduits à un petit nombre, ils liquidèrent l’Association (1897) et se partagèrent l’avoir : ce fût pour chacun d’eux une petite fortune. Cette fameuse « Mine aux mineurs » aboutit, en fin de compte, non à « émanciper » la corporation des mineurs, mais à affranchir quelques ouvriers de l’obligation de travailler désormais. Une telle abdication est plus affligeante qu’une défaite.

La seconde « Mine aux mineurs, » celle de Monthieux, près de Saint-Étienne, a la même genèse : l’arrêt d’une exploitation improductive, la transmission presque gratuite d’une mine entre les mains des ouvriers. Mais l’entrée de jeu fut plus belle : les Conseils municipaux de Paris et de Saint-Étienne votèrent 10 000 francs, le Parlement 50 000, et M. Marinoni donna encore 50 000 francs. Le capital fut réparti entre les « fondateurs, » qui reçurent, sans bourse délier, des actions de 100 francs. Ces anciens révolutionnaires conçurent tout de suite un sentiment très vif de la propriété, et manifestèrent une opposition irréductible à l’admission de nouveaux venus. Les auxiliaires, postulans naturels, s’irritèrent, envahirent un jour l’Assemblée générale, pour y siéger de force. Pendant plusieurs années, ce fut dans la mine une confusion inouïe : chaque