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Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 4.djvu/336

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s’apparente aussi à Gœthe et, exagération filiale mise à part, le mot de M. Bergerat, « c’est le Gœthe français, » est le mot d’un homme de goût. Ne pas admettre la sensibilité dans l’art, ne pas croire qu’une sorte de beauté naisse du sentiment, ne pas croire que le sentiment ait sa beauté, c’est au moins la tendance de Théophile Gautier. À mon avis, c’est une hérésie ; mais pour le moment je ne discute point, je cherche seulement à définir.

Il a de l’imagination, mais d’une sorte très particulière et qui n’est point du tout romantique. Le fond de l’imagination romantique, c’est l’exagération, c’est le grossissement. Très capables de finesse et de grâce, — ils sont si bien doués ! — ils aiment surtout le grand, le gigantesque et même l’énorme. Ils sont foncièrement exagéreurs. Ils gonflent la réalité. « La moindre taupinée était mont à leurs yeux. » L’exagération est absolument étrangère à Théophile Gautier. Son imagination, après avoir vu exact, consiste à accuser fortement l’exactitude et à donner une sensation d’exactitude en lignes très précises, en relief vigoureux et en couleurs vives. C’est de l’imagination ; car il y a imagination toutes les fois que la nature passe à travers un tempérament et est modifiée par lui de quelque manière que ce soit ; mais ce n’est pas l’imagination romantique et ce n’est pas même, chose au moins à noter et très importante à noter, l’imagination dans le sens que la langue donne ordinairement à ce mot.

Les romantiques, encore, étaient des penseurs, ou voulaient l’être. Tous, Lamartine, Victor Hugo, Vigny, Musset lui-même se sont inquiétés du mouvement de la pensée contemporaine et s’y sont mêlés. Tous ont été poètes philosophes. On s’attache actuellement à retrouver dans Lamennais exactement tout ce qu’ils ont pensé. Quand il serait vrai, cela n’ôterait rien au fait : tous les poètes romantiques ont voulu mettre des idées en vers. À cet égard, ils sont exactement, leur style à part, comme Voltaire faisant des Discours sur l’homme, point mauvais du reste, avec des idées de Pope. À cet égard, la coopération des romantiques à l’œuvre du siècle, comme on dit, est presque incalculable.

Gautier, lui, ne fut pas du tout philosophe, pas du tout penseur, pas du tout idéologue, et très obstinément ne voulut point l’être et très modestement ne voulut point s’en donner la figure. À lui s’appliquerait l’épigramme irrévérencieuse, restée célèbre :


Je suis celui qui met en fuite les idées.