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Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 4.djvu/343

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faux. Je reconnais seulement que des idées données par la forme n’ont rien, communément, de très solide.

Dégagé des paradoxes, cela revient simplement à dire qu’à l’égard des idées, le poète-émailleur se contente de très peu et qu’à l’égard de la forme, il ne se contente jamais.

Mais ce qui est plus important que l’école de Banville et ce que l’on n’a pas assez remarqué, Gautier a eu une influence décisive sur le roman de 1850 à 1900 ; c’est surtout à Flaubert, aux Goncourt, à Alphonse Daudet et à Zola qu’il a donné des leçons d’écriture artiste, c’est à eux surtout qu’il a appris à écrire difficilement et c’est-à-dire à être très difficile sur l’écriture et à ne jamais se contenter d’un approximatif ou d’un analogue. Que le roman soit devenu une œuvre d’art comme l’était le fragment épique ou le poème lyrique, c’est exactement à Théophile Gautier que nous le devons. Voilà les propres enfans de Théophile Gautier.

Il a héritiers plus indirects, ceux qui procèdent, non de ce qu’il était, mais de ce qu’il n’était pas et de ce qu’il mettait sa gloire à n’être point. La théorie de l’art impersonnel et la théorie de l’impassibilité littéraire dérivent de lui et ont infiniment pesé d’une part sur Flaubert que nous avons déjà nommé à un autre point de vue, d’autre part sur Leconte de Lisle. Et sans doute il n’y a jamais eu d’art purement impersonnel et il n’y a jamais eu d’écrivain impassible et rien n’est plus facile que de voir, à travers ses ouvrages, ce qu’a été Flaubert personnellement et il n’est pas douteux non plus que Leconte de Lisle est très loin d’être impassible et qu’il a quelques passions très fortes, parmi lesquelles il faut compter la haine du christianisme et l’amour de la mort ; mais ce qui est de Gautier dans ces hommes-ci c’est l’effort pour se ramener à l’impersonnalité et l’impassibilité, et c’est cet effort même qui fait qu’ils sont si différens de ceux qui les précèdent et que l’on sent que Leconte de Lisle ne s’apparente avec personne et non pas même avec Vigny et que Flaubert ne s’apparente avec personne et non pas même avec Balzac. Leconte de Lisle est un Vigny, avec plus de splendeur de forme (où l’influence de Gautier apparaît encore) et avec un effort pour rester froid devant son pessimisme lui-même et pour l’exprimer, s’il est possible, avec la sérénité d’un Dieu ; et vous pouvez considérer ceci comme un défaut, mais vous ne pourriez point ne pas le considérer comme une nouveauté.