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Si je m’aperçois dans tes lettres que tu es triste, j’aurai beaucoup de chagrin. Songe donc que cette séparation était indispensable, que mon séjour ici me fait le plus grand bien, et que, d’ailleurs, voilà déjà bientôt un mois de passé. Va, le temps me dure, à moi aussi, et si beau et si agréable à habiter que soit ce pays, pas plus qu’ailleurs je n’y aime la solitude à laquelle je suis si peu accoutumé ; tu me manques bien, à moi aussi, et bien des fois je pense à l’heure exquise du retour où je pourrai t’embrasser. Mais je suis raisonnable et je me dis : il faut rester ici le plus longtemps possible, afin d’en revenir bien guéri ; et je songe à ton bonheur, ma pauvre chère maman, quand tu verras la belle mine de ton fils et que tu n’auras plus d’inquiétude sur son compte. Aujourd’hui je voulais bavarder avec toi et te raconter un peu le pays. Veux-tu ? bonne maman ; mais il faut me promettre de n’être plus triste, plus jamais. — Donc ici le printemps est en quelques jours devenu l’été, et nous avons la température du mois de juin à Paris. C’est magnifique, un peu trop chaud même, au moins dans le cœur de la journée, et on ne peut plus sortir que le matin ou de trois à cinq heures. Une chose très agréable, par exemple, c’est qu’on n’a plus à redouter ce subit refroidissement qui, auparavant, avait régulièrement lieu vers quatre heures, et c’est aussi les soirées qui sont moins fraîches. Les montagnes embaument. Partout des fleurs et des plantes ; et puis le charmant contraste des oliviers gris et des nouveaux arbres tout verts. Comme les neiges commencent un peu à fondre, là-haut, sur le Canigou, les torrens grossissent et font un magnifique tapage et une énorme écume sur leurs lits de pierres dans les vallées. Les ruisseaux d’eau vive courent plus rapides. C’est adorable. Comme je reprends chaque jour des forces, M. Lemarchand me permet quelques promenades. Un jour je suis allé à Arles, le chef-lieu de canton (toujours l’ombrelle d’une main, la canne de l’autre). Arles-les-Bains est une ville tout à fait espagnole : des rues dont on toucherait les deux rangs de maisons en écartant les coudes, et sur lesquelles surplombent des balcons, de vrais balcons à sérénades. Il y a là les ruines d’un ancien cloître (XIIe siècle). Les paysans les détruisent ; mais cela vaut encore mieux que les architectes qui restaurent. L’église est très curieuse, avec ses chapelles en bois peint, doré et sculpté, dans le goût jésuite espagnol. Le vermillon le plus violent imite le sang qui coule des plaies du