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de vue, un océan de moissons. Mais, si ce paysage manque un peu de pittoresque, il est opulent, paisible, très calmant pour le regard et pour l’esprit.

J’habite une vaste chambre, pleine de meubles et d’images surannées qui m’amusent beaucoup. Elle a un délicieux balcon, tout envahi par le feuillage, et j’y fume le matin mon éternelle cigarette, devant un magnifique rideau de peupliers qui chante dans le vent, en m’amusant à regarder, dans le grand fossé qui est sous ma fenêtre, manœuvrer une escadre de canards.

Richebourg est une vieille maison, toute lézardée, toute croulante, pleine d’escaliers, de marches à monter ou à descendre pour passer d’une chambre à l’autre, de casse-cou de toutes sortes. Les générations des Baroux l’ont prise comme débarras des mobiliers vieillis et fanés, de sorte qu’elle offre le bric-à-brac le plus bizarre. Le style de la Restauration y domine pourtant. Aussi quelles gravures, quelles pendules ! Autant de promenades et intérieurs.

La ferme est superbe. C’est une des plus plantureuses de la Brie. Six cents arpens, 1 200 moutons, une trentaine de vaches et autant de chevaux. Je tâche de m’initier aux détails de la vie rurale ; car un poète doit tout étudier.

Il n’y a encore ici, avec moi, que M. et Mme Baroux et la plus jeune des filles de Mme de La Gravière. L’aînée est restée à Paris avec sa mère, retenue à Paris pour affaires. Mais on attend ces dames la semaine prochaine, plus de la compagnie, des amis de M. Baroux.

M. Jules de Lasteyrie, dont le château est voisin d’ici, a déjeuné hier à Richebourg. Homme charmant, très littéraire.

J’ai déjà visité la petite ville voisine, Rozay, qui est très proprette et où les volailles effarouchées se sauvent devant la voiture. J’ai vu aussi la maison des La Gravière, Le Breuil, qui est un charmant petit château, entouré d’un parc plein d’arbres magnifiques.

Je suis tellement loin de Paris et de ses misères que je n’ai pas encore surmonté l’ennui d’écrire à Du Quesnel.

Au revoir, mes chères bonnes femmes, je vous embrasse de toutes mes forces. Je recommande bien à maman de ne pas être inquiète de moi et de ne pas s’attrister de mon absence. C’est mon unique souci de craindre qu’elle se fasse du chagrin.

Ma chère maman, je couvre de baisers ton cher vieux front