Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 4.djvu/458

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dans ce qu’on est convenu d’appeler la bonne société. Comment peuvent-elles se passer dans la mauvaise ? Nous avons, pour nous renseigner, tout un cycle de pièces qui nous mènent dans le monde des filles, depuis les établissemens où elles font leurs premières armes, jusqu’au petit hôtel où les installe la fantaisie vicieuse de quelque boursier, homme d’affaires, politicien. Je laisse de côté les pièces à spectacle qui ne sont qu’une suite de tableaux destinés à nous mettre sous les yeux Montmartre, les bals publics, les restaurans de nuit. Je ne m’occupe que des comédies. Le type le plus accompli du genre est certainement cet Enfant de l’amour où l’auteur semble avoir réuni comme à plaisir tout ce qui peut effarer le spectateur le plus endurci et auquel on assiste, stupide, comme à une gageure. C’est l’histoire d’une vieille fille de joie menacée d’être lâchée par son amant, un homme qui a été marié, qui a des enfans, qui est riche, a une belle situation sociale et va même passer sous-secrétaire d’État. Cette gourgandine a un fils, Maurice Orland, qui est vite devenu un témoin gênant, qu’il a fallu écarter, qui a été élevé à l’office, dans toutes les promiscuités, sons l’œil quasiment paternel d’un maître d’hôtel dépositaire et instrument des louches secrets de la maison. Le garçon est devenu tel qu’on pouvait l’attendre de ces belles fréquentations. Paresseux et jouisseur, il flâne dans les bars, en compagnie des bookmakers, des jockeys, des professeurs de billard et des croupiers de cercle. Joli cœur, il a une figure qui lui vaut des succès dans tous les mondes. De temps en temps, il rend visite à sa mère, avec son amie du moment, en passant par l’escalier de service, discrètement, pour la « taper » de quelques billets de banque. Il va sans dire que ce fils est un bon fils, aimant sa mère de toute la tendresse qu’il ne lui doit guère, de toute l’affection qu’il a si souvent dû refouler. Que cette mère soit lâchée, c’est une idée qu’il ne peut supporter. Il va donc s’employer non seulement pour lui ramener son amant, mais pour la faire épouser par cet amant. Il n’a à sa disposition qu’un procédé : le chantage. Mais il a plus d’un moyen de chantage, et ils sont tous bons. L’un consiste à menacer le sous-secrétaire d’État de publier des lettres d’où il ressort qu’il a maquignonné aux courses je ne sais quelle canaillerie. L’autre à menacer le père de ne pas lui rendre intacte sa fille, que précisément il tient sous clé, dans sa chambre, où elle est venue passer la nuit, étant folle de lui. Rantz, c’est le nom de l’amant, trouve le mot de la situation, quand il dit à cette abominable crapule : « Vous n’êtes pas à toucher avec des pincettes ! » Oui, mais lui-même !… Car nous le verrons, à l’acte suivant.