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et de gloire que leur promet un avenir prochain. Quelques-uns, anciens zouaves ou légionnaires, à qui la médaille du Maroc épinglée sur leur vareuse donne une auréole de précurseurs, pérorent au milieu de groupes émerveillés. Puis, tout se tait ; la lourde chaleur de midi fait disparaître les troupiers sous les toiles cachou qui étouffent les ronflemens de la sieste africaine.

Pendant des jours, amenés par les bateaux qui se succèdent sur la rade, transportant les renforts hâtivement expédiés de France et d’Algérie, les troupes les plus diverses s’entassent sur le plateau brûlant. Elles y attendent l’ordre d’aller rejoindre, vers Rabat ou et Kounitra, la colonne légère ou la colonne de ravitaillement qui s’y forment avec peine. Goumiers de la Chaouïa, bataillons coloniaux, batteries de bigors et de métropolitains, tirailleurs algériens et sénégalais, spahis et chasseurs d’Afrique, compagnies du génie et conducteurs kabyles, finissent par former une petite ville de toile, affairée et bruyante. Et, comme dans toute petite ville, les voisins s’épient, se jaugent et potinent. L’antagonisme des armes, les rivalités de corps sont encore exacerbés par les bouleversemens incessans dans l’ « ordre de bataille, » qui révèlent aux esprits chagrins le souci de réserver la gloire des commandemens et des résultats à quelques privilégiés. Malgré les leçons de la guerre de Mandchourie si chèrement payées par les Russes, bataillons indigènes et européens, troupes métropolitaines et coloniales, sont disloqués pour être mélangés en groupemens hétéroclites, inconnus de leurs chefs, où l’union morale semble, au premier aspect, faire défaut. Les modifications les plus inexplicables en apparence sont faites chaque jour à cet « ordre de bataille » si laborieusement établi. Les coloniaux notamment, réunis tout d’abord en brigade mixte composée de leur artillerie, de leurs deux régimens de marche et d’un régiment de tirailleurs sénégalais, sont dispersés aux quatre vents du ciel, dilués dans la colonne Brulard, la colonne Dalbiez, les garnisons de la ligne d’étapes et de la Chaouïa. Leur général, leurs colonels, considérés en principe comme des personnages inutiles et encombrans, sont nantis de situations indéfinies, stables et reposantes. Mais tout finit par se tasser sous la pression des personnes et des événemens, et les préjugés disparaissent. Dès les premiers coups de feu, les divers élémens du corps expéditionnaire, aussi désunis que les tribus marocaines, retrouvent leur cohésion ; la