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des mollets cambrés ; ce sont les variétés de la prostitution, que des Espagnoles inquiétantes, des Juives grasses, au costume bariolé, s’efforcent vainement de rendre pittoresque. Vers minuit, les derniers noctambules ont épuisé la coupe des locales ivresses. Ils rentrent dans leur tente ou leur case, et les chiens qui disputent les charognes éparses autour des remparts troublent seuls, par leurs querelles bruyantes, le calme nocturne de la cité.


II. — DE CASABLANCA A SALÉ

Sur la piste sablonneuse des caravanes qui, langeant la mer, relie Casablanca et Tanger par Rabat et Salé, la colonne Dalbiez chemine lourdement. Les étapes quotidiennes de vingt-cinq à trente kilomètres sont rendues interminables par le sol sans résistance où les pieds s’enfoncent, par la poussière que soulève le vent du large, par les premières ardeurs du climat qui, pour les troupes venues de France, succèdent sans transition à la tiédeur du printemps métropolitain. Et si cavaliers, fantassins, artilleurs sont légers et joyeux au départ matinal, dans la fraîcheur étoilée de l’aube, les derniers kilomètres s’achèvent péniblement dans la monotonie d’un paysage désert.

Les champs d’orge et de blé jaunissans s’étendent jusqu’à l’horizon ; un palmier lointain secoue sa chevelure ébouriffée ; quelques bouquets de figuiers, perdus dans l’immensité d’un espace sans reliefs apparens, marquent les emplacemens abandonnés des douars. Çà et là, les cultures cessent. La prairie naturelle succède aux céréales, et l’abondance des pluies récentes lui donne un charme inattendu et délicieux. Tant que le sol garde un peu d’humidité, que la chaleur du soleil de l’été n’a pas atteint toute sa force, l’herbe disparaît sous les fleurs. Marguerites, boutons d’or, coquelicots et bluets, liserons bleus, rouges et blancs, capucines et primevères, campanules, myosotis et glaïeuls, forment un tapis parfumé, aux couleurs innombrables et doucement fondues, où chantent les grillons, courent les lézards verts, bourdonnent les abeilles, dansent les papillons.

Très rares sont les villages permanens. Les paysans de la Chaouïa ont de vieilles querelles avec leurs voisins les Zaërs, et, comme toutes les populations rurales au Maroc, trouvent dans la mobilité de leurs tentes une sauvegarde contre les agressions. Ainsi peut déjà s’expliquer la faiblesse des moyens de