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de l’action. Les heures lentes des bivouacs paraissent brèves, et les lacunes d’une installation trop sommaire passent inaperçues. Pendant la marche, on songe encore aux événemens annoncés la veille et dont on attend la réalisation ; le sac semble moins lourd aux épaules, et le sable plus ferme sous les pieds. En commentant les surprises de convois, les attaques de camps, dont les détails exagérés par la distance et l’imagination font supposer que l’adversaire est audacieux, le soldat trouve la route moins longue et la soif moins ardente.

Les coloniaux qui viennent de Paris, surtout, ont besoin de cette factice excitation. Ils n’ont que le petit bidon du modèle métropolitain, au lieu du récipient de deux litres, en usage dans les troupes d’Algérie. Le service de garde qui, à la capitale, forme à peu près tout leur entraînement militaire, les a mal préparés aux fatigues d’une campagne inopinée au Maroc où ils sont lourdement chargés. Leur débandade inévitable à tous les puits, mares ou ruisseaux, leur aspect accablé quand ils arrivent au bivouac, les exposent aux remarques ironiques, aux appréciations désobligeantes des « Africains, » dont les chefs affectent de les considérer comme d’encombrans impedimenta. Les tirailleurs sénégalais eux-mêmes, dont une presse enthousiaste vanta les mérites, ne produisent pas une meilleure impression. Placés dans les plus mauvaises conditions matérielles, hâtivement incorporés dans la colonne Dalbiez, qu’ils ont dû rejoindre par une marche forcée, sans avoir pu prendre à Casablanca un repos indispensable, c’est seulement grâce à un esprit de corps intense que les officiers et sous-officiers des « troupes noires » évitent les déchets nombreux. Mais, après quelques étapes, ces marsouins et ces Sénégalais si décriés parviennent à forcer l’estime générale et conquérir d’activés sympathies.

D’ailleurs, les deux principaux élémens du corps expéditionnaire, « Africains » et coloniaux, ont besoin d’une indulgence réciproque. L’évident « chiqué » des uns prête autant à l’ironie que le laisser aller apparent des autres. Si les premiers se jugeaient lésés par l’intrusion de rivaux chaque jour plus nombreux dans un pays que l’« armée d’Afrique » a longtemps considéré comme un domaine personnel et réservé, les seconds, aigris par un accueil sans bienveillance, trouveraient leur situation bien définie par la remarque lapidaire d’un officier grincheux : « C’est nous, les Marocains. »