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cette immortalité ne doit pas apparaître comme une récompense. Car, aux yeux de Kant, la vertu qui attend une couronne ne mérite plus même le nom de vertu. Pour la première fois, la morale apparaissait comme pleinement indépendante. Indépendante à la fois de la religion et de la science. Et sans rien relâcher de la fermeté de ses préceptes, de la rigueur de ses ordonnances. Au contraire. Il semblait chez Kant que la morale devenait plus haute au moment même où on ne la faisait plus descendre du ciel. Mais ce ne fut que plus tard, longtemps après la mort de Kant, au courant du siècle dernier, que toutes ces conséquences devinrent familières aux philosophes, aux moralistes et par eux finirent par pénétrer dans l’esprit public.

Au début du XIXe siècle, il n’y a en présence que deux sortes de morales : la morale naturaliste, telle que la comprenaient nos « philosophes » du XVIIIe siècle, et la morale chrétienne. À vrai dire, celle-ci était la seule qui fût ouvertement professée, communément enseignée. Dès la création des lycées, dès l’ouverture des Facultés, tous les hommes qui furent chargés des cours de philosophie où la morale se trouvait comprise enseignèrent la morale du Décalogue et de l’Evangile, la morale de Descartes, de Malebranche, de Fénelon, de Bossuet. C’étaient les mêmes préceptes et les mêmes raisonnemens que les jeunes gens entendaient au catéchisme et dans les cours de philosophie. Victor Cousin, Jouffroy, tous les éclectiques ne changèrent rien à l’état des choses. Comme le christianisme, ils attribuèrent à la loi morale un législateur, Dieu, un sujet, le libre arbitre humain, une sanction, la vie future, l’immortalité de l’âme. Ce sont les mêmes principes qui animaient encore en 1872 la Morale de Paul Janet. La Restauration, la monarchie de Juillet, le second Empire, la troisième République à ses débuts favorisèrent ces enseignemens, qui étaient d’accord avec leur politique.

Cependant hors de l’Université des tentatives s’étaient produites pour fonder une nouvelle morale. En même temps que les écrivains romantiques, comme George Sand, proclamaient les droits de la passion, et, s’attaquant à l’institution matrimoniale, préludaient à une révision de la morale sexuelle, les écrivains socialistes, de Henri de Saint-Simon à Fourier, à Pierre Leroux, à Cabet, critiquant l’institution économique et même l’institution sociale, en venaient à prêcher une refonte