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Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 4.djvu/609

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comment concevoir que la conscience d’un Léonidas ne se tînt pas pour obligée d’obéir aux lois de sa pairie et celle d’un Socrate d’obéir aux ordres de son Démon ? Il faut dire au contraire que ces notions sont telles qu’il est impossible de concevoir ce que sans elles serait la moralité, ou même s’il y aurait encore une morale quelconque. Que l’éducation religieuse de Kant ait pu être pour quelque chose dans le vif sentiment qu’il a du Devoir, le fait n’est pas contestable, mais la gloire de Kant a été de s’élever au-dessus de cette éducation et de ne chercher que par l’analyse rationnelle les principes de la morale. Loin de faire dériver le Devoir d’un dogmatisme religieux, il ne le déduit même pas d’une métaphysique quelconque. Rien n’est moins transcendant que sa morale. Comme Socrate, il fait descendre la philosophie du ciel sur la terre, et dans le devoir, tel qu’il le conçoit, il n’y a rien qui ne soit purement humain. Quelles que soient les exagérations que des disciples tels que Vallier ont pu faire subir à sa doctrine, quelles que soient même les obscurités de son exposition et parfois l’inexactitude de son langage, sa pensée est claire, et il est indigne d’esprits sérieux de reprocher à Kant d’avoir situé le Devoir dans des limbes mystérieux extérieurs à la raison : au contraire, le Devoir pour lui n’est que l’expression, munie de la raison. Raisonnables par essence, nous sommes obligés de nous soumettre en toute occurrence aux lois incoercibles de la raison. La raison se justifie elle-même dans la vie pratique aussi bien que dans la vie purement intellectuelle. Ses ordres sont caractérisés bien moins par le mystère que par l’absence de tout mystère. Ils portent avec eux leur raison d’être et sont par conséquent indépendans de toute législation étrangère. Avant tout et par-dessus tout, il nous faut obéir à la raison.

Ce n’est donc pas, conclut M. Cantecor, en revenant purement et simplement aux doctrines des anciens sur le souverain bien et sur la nature du bonheur que nous résoudrons le problème moral de façon à donner satisfaction aux consciences contemporaines, mais en incorporant les données anciennes aux découvertes modernes, en unissant dans un seul composé vivant la matière du souverain bien et la forme de la loi.

En même temps qu’ils atteignaient le kantisme, les articles de Victor Brochard visaient trop clairement l’alliance opérée par l’éclectisme entre la morale rationnelle et les dogmes