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Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 4.djvu/623

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jolies : ils possédaient encore la terre par tolérance et parce que les Morlocks, subterranéens depuis d’innombrables générations, étaient arrivés à trouver intolérable la surface de la terre éclairée par le soleil. Les Morlocks leurs faisaient leurs habits, concluais-je, et subvenaient à leurs besoins habituels, peut-être à cause de la survivance d’une vieille habitude de domestication. Ils le faisaient comme un cheval cabré agite ses jambes de devant ou comme un homme aime à tuer des animaux par sport : parce que des nécessités anciennes et disparues en avaient donné l’empreinte à l’organisme. Mais clairement, l’ordre ancien était déjà en partie interverti. La Némésis des délicats Eloïs s’avançait pas à pas. Pendant des âges, pendant des milliers de générations, l’homme avait chassé son frère de sa part de bien-être et de soleil. Et maintenant ce frère réapparaissait transformé. Déjà les Eloïs avaient commencé à apprendre de nouveau une vieille leçon. Ils refaisaient connaissance avec la crainte.

L’homme s’était contenté de vivre dans le bien-être et les délices, aux dépens du labeur des autres hommes ; il avait eu la nécessité comme mot d’ordre et excuse, et dans le plénitude des âges, la nécessité s’était retournée contre lui.


Nous lisons nettement dans cette vue de l’avenir une critique du présent, et c’est, à n’en pas douter, ce qu’a voulu l’auteur. L’intention est assez manifeste qui lui fait traiter ici la réalité en logicien et selon un procédé en quelque sorte mathématique. Son tableau du futur ne saurait offrir beaucoup de sens comme « anticipation. » Les choses, en fait, ne se passeraient point ainsi. La nature humaine réagit, se défend ; les élémens méconnus se révoltent et maltraités se revanchent. À travers ces actions et ces réactions, une sorte d’équilibre se réalise, instable certes et toujours rompu, mais toujours, tant bien que mal, rétabli. Le développement dans le temps n’a pas cette rectitude linéaire. S’il y a une logique des choses, elle est moins simple que celle de l’esprit. Mais c’est l’esprit qui fait la science, et M. Wells, plus préoccupé du possible que du réel, en transporte les méthodes dans le champ illimité de ses spéculations. Cet idéologue rêve une organisation logique, rationnelle de la vie et de la société à la surface de la planète. Toutes ses fictions se réfèrent à une doctrine et, explicitement ou non, en procèdent.


II

À vrai dire, M. Wells ne se présente point comme un réformateur, soucieux d’améliorer le présent. Son esprit spéculatif se meut à l’aise en plein avenir, dans « l’air plus libre, les espaces