Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 4.djvu/636

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

bons qu’à des bévues. Voyez Willie et Nettie dans Au temps de la Comète. Ils se sont fiancés comme des enfans, avant leur dix-huitième année. C’était un soir d’été, « une de ces longues soirées d’or qui cèdent moins le pas à la nuit qu’elles n’accueillent, semble-t-il, par gracieuseté, la lune et son scintillant cortège d’étoiles : » ils échangèrent un baiser et des promesses. Ce fut assez ; il resta un an sans la revoir, mais, durant cette année-là et deux autres encore, il aurait à tout instant offert de mourir pour elle. Cependant, Nettie Stuart, la fille du chef jardinier de Mme Verrall, reçoit des lettres d’amour corsées de théologie, de sociologie, et bientôt elle est déconcertée par ce « grand gamin fort sot, fort poseur et fort sentimental » qui pense à elle dans l’obscurité et le silence, mais, dès qu’il s’attable pour lui écrire, ne pense qu’à Shelley, à Burns et à lui-même. On se brouille, on se raccommode, par correspondance. Nettie doute « de pouvoir jamais aimer un socialiste qui ne croit pas à l’Église, » et un beau jour elle lui signifie son congé, pour être libre d’écouter les propos galans du fils de Mme Verrall, qu’elle veut bien suivre, parce qu’il est gai et agréable, parce que cette cour la flatte, parce que, dans notre affreux monde, c’est cela qu’on appelle aimer. « Le poison social avait à ce point corrompu la nature de Nettie, l’habit du jeune oisif, son allure dégagée, son argent lui avaient paru choses si belles, comparées à ma misère, qu’elle avait consenti à tout sans arrière-pensée. » Les brouillards verts de la comète arrangeront tout. Dans Tono Bungay, George et Marion ne sont pas plus heureux que M. Lewisham, et leur amour, comme le sien, n’étant favorisé par nul prodige cosmique, ils épuisent pareillement toute la tristesse de leurs erreurs sentimentales. L’histoire est toujours la même. Ils se sont plu, fiancés, épousés, sans se connaître. Leur mariage a été une duperie réciproque, avec un peu plus d’illusion chez l’homme et de calcul chez la femme ; et la vie, chaque jour, se glisse entre eux et les sépare. Il la trompe avec une dactylographe de ses bureaux. Elle découvre l’infidélité. C’est alors seulement, quand la rupture est décidée, qu’à la faveur de cette crise, ils sont amenés à se regarder, à s’étudier, et à voir dans leurs âmes. Car ils se dressent alors, en face l’un de l’autre, tels qu’ils sont. Entre eux, c’en est fait des faux-semblans et des apparences, c’en est fait des concessions et des dissimulations. Mais il est trop tard…