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Naturellement, ce n’est pas le Prince qui lui répond, c’est Almeida. Son maître a bien reçu la lettre en question, qui lui a été remise par le « portier de la canne. » S’il l’a acceptée et ouverte, c’est qu’il supposait que cette lettre en contenait une autre du Premier Consul, car, autrement, « la correspondance ministérielle et les demandes d’audiences à Son Altesse Royale doivent être adressées, selon l’usage établi dans cette Cour et dans les autres, par l’intermédiaire du ministre et secrétaire d’État des Affaires étrangères. »

Quand Lannes obtient son audience le 28 ventôse, il ne peut s’empêcher de reprendre sur-le-champ la série des récriminations, se plaignant qu’aux anciens griefs on en ait ajouté de nouveaux. Ne l’a-t-on pas insulté encore après son départ en arrêtant ses effets au moment où ils allaient être embarqués ? en pillant son argenterie et son linge ? Les souverains n’ont guère l’habitude d’entendre des réclamations de ce genre, et de plus, Almeida est présent à tout l’entretien ; on comprend donc l’embarras du timide Régent qui ne répond, selon sa coutume, que « par des assurances vagues d’une bonne volonté qui n’amène jamais de résultats. »

Almeida, dans le dessein d’amener Lannes à reprendre la correspondance avec lui, saisit habilement cette occasion : le soir même de cette audience, il le prie de lui envoyer par écrit l’exposé de ses réclamations, vu qu’ayant été soumises verbalement « dans une audience destinée à votre présentation (encore un coup de patte en passant), on ne peut en conserver le souvenir aussi exact qu’il est nécessaire pour que Son Altesse Royale vous transmette une réponse convenable. »

Lannes a vu venir le coup, et il le pare. L’observation est juste, réplique-t-il, mais, pour présenter l’exposé de ses réclamations, une nouvelle audience du Prince lui est nécessaire, et il ne doute pas qu’Almeida ne veuille bien la lui procurer. L’autre est bien forcé cette fois de s’exécuter, et l’audience est accordée pour le 5 germinal ; mais il s’arrange pour être encore présent, quand Lannes est introduit auprès du Régent. Pour le coup, le général n’y tient plus ; résolu à braver son ennemi en face, il demande au Régent de faire sortir Almeida ; le Prince, terrorisé, y consent et donne l’ordre de se retirer à son ministre, qui se le fait redire trois fois avant d’obéir. Enfin Lannes peut parler librement et il en profite : Le Premier Consul est