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L’un des premiers, Antoine de Montchrétien, honorera, lui, les arts mécaniques, les métiers, en eux-mêmes et pour eux-mêmes. Quand je dis : « les honorera, » je devrais dire : « les honore « ou déjà « les a honorés, » puisque le Traité de l’Économie politique (1615) est antérieur de cinq ans au grand ouvrage de Bacon. Et comme, plus tard, le juriste Domat, il tire leur noblesse d’abord de leur utilité[1] : « Vostre Estat, ose-t-il dire au Roi et à la Reine mère, est composé de trois principaux membres, l’ecclésiastique, le noble et le populaire… [Ce discours] concerne particulièrement le dernier, le plus négligeable en apparence, mais en effect fort considérable. Car c’est leur premier fondement, comme en la disposition du monde la terre tient lieu de piédestal et de centre aux trois autres élémens… Aussi pouvons-nous dire que, sans ce corps qui fait le gros de l’Estat, le reste ne saurait subsister longtemps sans retomber au meslange et brouillis de son premier chaos. »

C’est bien un ordre en face des deux autres, et le plus uni, et, pour toutes les raisons, le plus homogène des ordres : « Ce tiers ordre est composé de trois sortes d’hommes, laboureurs,

  1. Jean Domat. Le Droit public, livre Ier, titre XIII : « Toutes ces sortes de travaux, nécessaires dans l’état présent de la société des hommes, peuvent se réduire à deux espèces générales, qui comprennent tout ce qui peut occuper les personnes de l’un et de l’autre sexe.
    « La première, à commencer par les premiers des besoins des hommes, est celle des travaux des mains qui produisent quelque ouvrage utile, soit pour la nourriture, le logement et le vêtement, ou pour toutes les autres sortes de besoins. Et c’est cette première espèce de travaux qui occupe ceux qu’on appelle artisans et gens de métier, et ceux qui travaillent à l’agriculture et au soin des bestiaux, laboureurs, pasteurs et autres qu’on distingue des artisans, quoyque ce soient en effet des espèces d’arts qu’ils exercent ; mais parce que les travaux de ces personnes ne produisent pas d’ouvrages des mains, comme sont les autres qui fabriquent des maisons, qui font des étoiles, et toutes les autres choses qui sont les différens ouvrages des arts, et d’une industrie qui ne s’acquiert que par une assez longue étude de plusieurs règles, et par une expérience d’assez longtemps, pour acquérir l’habitude d’exercer l’art, on ne met pas le travail des pasteurs et des laboureurs au nombre des arts.
    « La seconde espèce est celle des travaux d’esprit
    « On peut juger, par cette nature du travail et par la loi qui l’impose à l’homme, que, de toutes les différentes conditions qui composent la société, il n’y en a point à qui l’observation de cette loy soit plus naturelle que celle des artisans, dont la profession expresse est l’application continuelle et pénible à quelque travail du corps, qui gagnent leur pain à la sueur de leur visage, au lieu que dans les autres conditions, l’occasion du travail est moins continuelle, et qu’il est plus facile et plus ordinaire de s’en détourner, de sorte que, par cette considération, et par celle de l’utilité des arts, ceux qui les exercent ont leur mérite dans la société, et doivent y être considérés comme des membres des plus nécessaires et des plus utiles. »