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Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 4.djvu/897

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n’y en ayant pas la moitié qui puisse parvenir à l’âge de gagner leur vie, parce que les mères manquent de lait, faute de nourriture ou par excès de travail, tandis que, dans un âge plus avancé, n’ayant que du pain et de l’eau, sans lits, vêtemens, ni aucuns remèdes dans leurs maladies, et dépourvues de forces suffisantes pour le travail, qui est leur unique revenu, elles périssent, avant même d’avoir atteint le milieu de leur carrière[1]. »

Ils pensent à ce menu peuple pour qui « de tout temps on n’a pas eu assez d’égards en France, » qui est « la partie la plus ruinée et la plus misérable du royaume, » et qui pourtant « est la plus considérable par le nombre et par les services effectifs et réels qu’elle rend ; » à « cette partie » qui, « bien que composée de ce qu’on appelle mal à propos la lie du peuple, est néanmoins très considérable par le nombre et par les services qu’elle rend à l’État ; » à ces manœuvriers (le mot est écrit et répété), à « ces gens qui, ne faisant profession d’aucun métier en particulier, ne laissent pas d’en faire plusieurs très nécessaires » et « dont la plupart, n’ayant que leurs bras ou fort peu de choses au-delà, travaillent à la journée ou par entreprise pour qui veut les employer. » Or, ces manœuvriers, « leur travail dépend des saisons (environ 180 jours par an, à 8 ou 9 sous par jour) ; et c’est ce qu’il faut examiner avec beaucoup de soin et de patience, afin de bien démêler les forts des faibles, et toujours avec cet esprit de justice et de charité (je ne sais, mais il me semble qu’il y a là aussi comme un accent nouveau), avec cet esprit de justice si nécessaire en pareil cas, pour ne pas achever la ruine de tant de pauvres gens qui en sont déjà si près que la moindre surcharge au-delà de ce qu’ils peuvent porter achèverait de les accabler[2]. »

Toutes ces pauvres gens, qui ne possèdent que leurs bras, ou fort peu de choses au-delà, il faut les faire vivre, et pour les faire vivre, « ouvriers d’industrie de doigts » et « ouvriers de force, » il faut leur procurer de l’ouvrage. C’est à quoi s’appliquera l’homme qui saura et voudra faire pleinement son devoir d’homme : « homme charitable, il donne l’aumône ; homme d’État, il donne à travailler : » et comme il est question, dans le même passage, de canaux à creuser, de quais à construire, de grands chemins à faire ou à réparer, n’y sent-on pas comme

  1. Boisguillebert, le Détail de la France (1695).
  2. Vauban, la Dîme royale (1707).