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Tout près d’elle, ainsi qu’une sœur jumelle,
J’aperçois la ferme et ses toits moussus,
Et sa cour, et son joyeux pêle-mêle
De maigres poulets et de coqs pansus ;

Je vois la chapelle et la grande allée,
Qui, dans sa raideur tendue au cordeau,
Monte à la terrasse unie et sablée…
Je vois le bassin et ses reflets d’eau.

Voici le grand pré bordé d’une haie
Où, par les vont s secs et les soleils drus,
La fermière fait, mosaïque gaie,
Sécher sa lessive aux chiffons bourrus ;

Et je vois déjà, — malgré la distance
Qu’à chaque seconde abrège mon pas, —
Je vois nettement, je vois à l’avance
Tout ce qui m’attend au retour là-bas.

Voici le salon calme où l’on respire
L’air intime et doux des foyers tiédis ;
Le petit boudoir de pur style Empire
Resté tel qu’il fut en mil-huit-cent-dix ;

Voici le feu clair dans la cheminée,
Le feu de bois sec qui brûle en chantant ;
La salle à manger vaste, illuminée
Du matin au soir d’un rayon constant ;

La bonne table aux formes arrondies
Où le soleil tombe en éclairs brutaux
Allumant de gais et brefs incendies
Sur la blanche nappe et les blancs cristaux ;

Et je vois autour de la table heureuse
Des visages chers se tendant vers moi…
Une voix me dit, doucement grondeuse :
« Il a bien fallu commencer sans toi… »