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puissamment original, étonnait, inquiétait le public, les gens de métier, par ses qualités et ses défauts. On ne le comprenait guère, car la musique italienne avait alors la vogue, et il la détestait ; les maîtres célèbres, Cherubini, Rossini, Meyerbeer, Halévy, Boieldieu, admirés, prônés, cent fois acclamés, ne se souciaient guère d’ouvrir les portes de la bergerie à ce loup dévorant qui rudoyait, blessait ceux qu’il n’achevait pas. Ils sentaient fort bien que cet homme était leur adversaire, et l’auraient volontiers traité de Caliban : or il ne faisait rien pour les apprivoiser, rien ou si peu ; souvent au contraire il leur rompait a visière, nullement impressionné par l’âge ou la réputation, hautain, absolu, sarcastique, prime-sautier, bon écrivain, mais terriblement ironiste, aussi prompt aux larmes qu’à la colère, au désespoir qu’à l’exaltation, aimant follement, détestant de même, avide de bataille, de domination. Point de savoir-faire ; comme Greuze n’ayant pas de plus dangereux ennemi que lui-même, trouvant facilement les mots qui s’enfoncent dans la vanité de la victime et font de mortelles blessures. Avec cela intéressant les gens de théâtre et les gens du monde (n’a-t-il pas épousé deux artistes, éprouvé cent caprices, des passions échevelées, réalisé mieux que tout autre, Musset excepté, le type du romantique ? ) Mais telle est sa volonté, tels sa foi en lui-même et son magnétisme, que, malgré tous les obstacles, à travers bien des échecs, il conquiert des admirateurs, des partisans, qui s’appellent Paganini, Liszt, Ernst, Reyer, Saint-Saëns : il a son cénacle, lui aussi, attache son nom aux festivals publiés depuis le Directoire, dirige des orchestres monstres, est joué en Allemagne, en Russie, en Angleterre, entre à l’Institut ; princes et rois lui font fête, le décorent à l’envi. La Damnation de Faust tombe de son vivant, mais, depuis 1877, quelle revanche, quelle apothéose !


Le foyer des artistes aux Variétés eut sa belle époque à peu près en même temps que celui de l’Opéra. Les auteurs en vogue y affluaient chaque soir, et la causerie, avec tout son cortège sentimental, railleur ou enthousiaste, allait si grand train qu’elle se prolongeait souvent, après la fermeture, au café, sur le boulevard, que les noctambules se reconduisaient indéfiniment les uns chez les autres, comme dans une farce connue. Dumersan, Mélesville, Brunswick, Dumanoir, Bayard, Gabriel,