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une cuisinière de bonne maison. L’art d’observer la rue et les loges des portiers n’était point sa science unique, il en possédait une autre qui faisait une grande disparate avec la première : il était employé supérieur au Cabinet des Médailles et très instruit dans la numismatique. À ce sujet, lorsque le Cabinet fut en partie dévalisé par d’adroits filous, qu’on les eut arrêtés, et qu’ils comparurent devant la justice, Dumersan, à qui le président demandait quel était son état, répondit naïvement : « Conservateur des médailles. » Un éclat de rire fusa aussitôt ; il gagna même les voleurs. »


Vers 1848, Auguste Villemot, alors secrétaire du théâtre de la Porte Saint-Martin, réunissait dans une des salles du fond quelques habitués, pour causer de toutes choses connues, à connaître, et de quelques autres encore : or ces habitués s’appelaient Siraudin, d’Ennery, Félix Arvers, l’homme au sonnet, qui fit aussi des comédies agréables, les deux Cogniard, Marc Fournier, Plouvier, Barrière, Victor Séjour, Méry, Fiorentino. Qui encore ? Les frères Bourgeois, Paulin Ménier toujours prêt à plastronner ses effets pour les prochains rôles, devant un tel cénacle dont il faisait la joie ; Choquart, le légendaire Choquart, ancien garde du corps de Charles X, provoquant à tort et à travers les gens dont la mine lui déplaisait, se croyant la meilleure lame de France, illusion qu’il garda jusqu’à la fin, malgré les coups d’épée qu’il emboursait régulièrement à chaque nouvelle tentative. Ce capitaine Fracasse, brave, sincère et gongorique, s’imaginait aussi qu’il avait collaboré à un vaudeville célèbre, Monsieur Jovial ou l’Huissier chansonnier, et qu’il avait été au mieux mieux avec une illustre comédienne. Il redisait pour la centième fois ses exploits à rebours, et pour la centième fois il amusait la compagnie, parce qu’il avait la manière, restant à mi-chemin entre le ridicule et le sublime. Son répertoire était assez varié, et, comme on l’aimait, tout en se moquant un peu de lui, chaque fois qu’un nouveau était admis au foyer, on demandait à Choquart de faire le récit de la bataille épique des gardes du corps avec les cochers de Saint-Cloud. Il commençait ainsi : « Nous prenions nos repas à la tête-Noire ; un jour, pendant que nous achevions de déjeuner avec quelques gardes du corps de Sa Majesté, nous vîmes entrer dans notre salle un cocher. Nous le priâmes de sortir ; il s’y refusa, nous disant des