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moins d’erreurs : je n’exagère pas en disant que, jusque dans ces chapitres-là, les deux tiers de ses affirmations se sont trouvées inexactes, soit qu’il prêtât à tel ou tel maître des ouvrages qui n’étaient pas de lui, ou simplement qu’il se trompât sur l’origine, l’emplacement, le sujet d’un tableau ou d’une statue. Nul moyen, aujourd’hui, de publier une édition « critique » de son livre si l’on n’y ajoute une série de notes au bas de chaque ligne, employées à rectifier les faits énoncés dans la ligne correspondante. Non seulement Vasari n’avait pas le moindre soupçon de notre besoin moderne de justesse et de précision en matière d’histoire : sans cesse il lui arrivait aussi d’altérer la vérité sciemment et volontairement, — conduit à cela par toute sorte de motifs divers, dont les principaux étaient son orgueil personnel, son amour-propre régional de Toscan au service des princes florentins, et enfin l’extraordinaire chaleur de son imagination poétique.

Des mensonges que lui a inspirés son orgueil personnel, l’un des plus caractéristiques est la manière dont il a hardiment introduit dans son livre, et promu au premier rang des peintres anciens, son arrière-grand-père Lazare Vazari, qui n’avait été, en réalité, qu’un humble et obscur petit sellier d’Arezzo. Le chapitre qu’il lui a consacré, est à coup sûr un modèle achevé de mystification historique. Écoutons-le, dès son exorde, se vanter noblement de l’honneur conféré à sa race par le génie de ce prétendu peintre, son aïeul :


Bien grand, en vérité, est le plaisir de ceux qui découvrent que l’un de leurs ancêtres s’est distingué et est devenu fameux dans les armes, ou les lettres, ou la peinture, ou n’importe quelle autre carrière libérale. Et ces hommes-là, qui trouvent dans l’histoire l’un de leurs aïeux mentionné avec éclat, tirent de cette découverte un aiguillon qui les excite à bien faire, comme aussi un frein qui les retient de commettre aucune action indigne d’une famille où ont vécu des hommes illustres. Ce sont les sentimens que j’éprouve en moi-même, à la pensée que l’un de mes ancêtres, Lazare Vasari, a été de son temps un peintre fumeux non seulement dans sa patrie, mais encore dans toute la Toscane. Et combien cette gloire fut justifiée, c’est ce que je pourrais montrer clairement si, comme j’ai fait pour les autres artistes, il m’était permis de parler de lui en toute liberté : mais comme il se trouve que je suis né de son sang, ou pourrait aisément croire que les éloges que je ferais de lui dépasseraient les bornes de la pure vérité. Aussi, laissant de côté ses mérites et ceux de toute notre famille, je me bornerai à dire ici ce que je ne pourrai ni ne devrai absolument pas taire sous peine de manquer au vrai, ce maître souverain de l’histoire.


Après quoi le voilà qui se met à décrire une dizaine de peintures