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chargé ? Telle a été l’attitude de l’Allemagne envers nous : la nôtre, tout en restant conciliante, devait naturellement devenir plus froide, plus réservée, déjà défiante. Néanmoins, on s’est remis à causer ; mais presque aussitôt, par le fait d’une indiscrétion dont l’origine est restée ignorée, le bruit a couru sans être démenti que M. de Kiderlen nous avait demandé tout le Congo et le Gabon français et, par surcroît, la renonciation au profit du gouvernement impérial de notre droit de préemption sur le Congo belge, pour le cas où la Belgique renoncerait à sa colonie. Dans l’état actuel des choses, il est peu probable que cette éventualité se réalise, et la Belgique sait fort bien que la France ne fera rien pour y pousser ; mais le jour où l’Allemagne, avec ses allures actuelles, hériterait de notre droit, les choses changeraient de face et l’Allemagne, qui a déjà commencé à se créer des intérêts au Nord du Congo belge, userait des moyens dont elle dispose pour peser sur la Belgique, sa voisine en Europe et en Afrique, et la déterminer à des concessions qu’elle saurait rendre nécessaires. Que peut le faible contre le fort, le pot de terre contre le pot de fer ? La prétention allemande, aussitôt qu’elle a été connue, a produit une émotion bien naturelle en Belgique, en même temps qu’elle en produisait, pour d’autres motifs, une non moins profonde en Angleterre. L’opinion anglaise, jusque-là assez calme, a subitement aperçu, comme à la lueur d’un immense éclair, l’Allemagne, maîtresse du Congo français et du Congo belge, établissant un immense empire Colonial qui s’étendrait dans tout le centre de l’Afrique depuis l’Océan Atlantique jusqu’à l’Océan Indien, barrant la route du Cap au Caire et détruisant au profit d’une seule puissance, active et entreprenante, l’équilibre des forces dans le Continent noir. Instantanément l’opinion a pris feu : le gouvernement s’en est inspiré, et a tenu un langage qui rappelle, en vérité, les meilleurs temps de l’histoire politique de l’Angleterre.

On ne s’attendait certainement à rien de pareil en Allemagne. Avant de s’engager dans cette aventure, le gouvernement impérial avait calculé ses chances, mais il s’est trompé dans ses prévisions. Il a cru que l’Angleterre, en proie à des dissentimens intérieurs très graves, n’accorderait pas aux affaires extérieures la même attention qu’autrefois, et aussi que le gouvernement radical, non seulement pacifique, mais volontiers pacifiste, qui préside actuellement à ses destinées ne déploierait qu’une énergie d’action atténuée. Les dispositions de l’Angleterre à l’égard de l’Allemagne semblaient d’ailleurs modifiées, et ce n’était pas seulement une apparence ; sous l’influence