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la perte de l’Herzégovine et de la Bosnie n’avait pas suffi à lui montrer ce que cette confiance avait d’exagéré. L’amitié de l’Allemagne est une grande force sans doute, mais ce n’est pas une force absolument libre et qui puisse disposer pleinement d’elle-même dans toutes les hypothèses, car l’Allemagne est enchevêtrée dans des obligations européennes qui sont pour elle une limite et quelquefois un obstacle. Alliée de l’Italie, elle n’aurait pas pu, quand même elle l’aurait voulu, prendre nettement parti pour la Porte sans compromettre son système d’alliances, éventualité à laquelle elle ne devait pas s’exposer. Des conseils, certes, elle pouvait en donner, et il est à croire qu’elle l’a fait ; mais on a trop d’intelligence politique à Rome pour n’avoir pas compris qu’on pouvait en prendre à son aise avec les conseils de l’Allemagne, destinés à rester platoniques, et l’activité italienne n’en a pas été un seul moment ralentie. Que pourrions-nous d’ailleurs dire à ce sujet qui n’ait été déjà dit avec une incomparable autorité par l’empereur d’Allemagne lui-même dans le télégramme qu’il a adressé au Sultan. Ce télégramme est un aveu d’impuissance dont la franchise ne laisse rien à désirer. L’empereur Guillaume a donné des instructions à son gouvernement pour qu’il fît de son mieux en faveur de la Porte, mais il reconnaît que les efforts de son gouvernement ont été pour le moment inutiles, et il exprime l’espoir que l’avenir sera plus favorable, car tout arrive, et Allah est grand. Si ce ne sont pas les termes exacts de sa dépêche, le sens n’en est nullement altéré dans cette adaptation.

La Turquie se trouvait donc réduite à ses propres forces en face de l’Italie, et on vient de voir ce qu’étaient ces forces dans la Tripoli- taine. Lorsqu’on s’est rendu compte de cette situation, la douleur et aussi l’indignation ont été vives à Constantinople. Le gouvernement d’Hakki pacha, qui avait fait preuve d’une aussi complète imprévoyance, a dû donner sa démission. Hakki pacha avait cru plus fortement que personne que l’amitié allemande était un invincible palladium : cette croyance était même toute sa politique extérieure. Il devait donc disparaître, mais par qui serait-il remplacé ? On a vu alors un spectacle assez curieux. De tous ces Jeunes-Turcs qui remplissaient la scène politique avec tant d’assurance, quelquefois même d’arrogance, il n’a plus été question et on a entendu prononcer de nouveau les plus vieux noms de la Vieille-Turquie, Saïd pacha, Kiamil pacha. C’est au premier que, finalement, le Sultan a confié le grand vizirat : il l’occupe pour la cinquième fois et tout donne à croire que, s’il l’a accepté, c’est par dévouement patriotique, car il ne