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dans la petite galerie avec toute cette principauté, à laquelle je ne savais plus que dire, d’autant plus qu’il me paraissait que, pour des gens qui cherchaient un asile, tout cet escadron Condé avait l’air un peu trop assuré. Le duc d’Enghien n’a fait rien autre que badiner avec d’Angoulême, ce qui n’amusait pas beaucoup ma sœur, qui n’était pas fort contente que son fils fit une si grande connaissance avec ce garçon-là qui avait un air si dégourdi.

16 octobre. — Après le dîner on fit la lecture des nouvelles de France et comme il y était dit que l’on parlait de faire rentrer les princes absens. Madame d’Artois se récria très fort et déclara qu’elle ne voulait plus s’en retourner, ce qui fit beaucoup rire la compagnie.


Jusqu’à ce commencement de l’hiver, les princes résident à Moncalieri où la vie comparée à celle de Versailles leur paraît bien morne. Les soucis de la politique occupent, il est vrai, le comte d’Artois, mais ne l’empêchent pas de saisir les occasions très rares de se distraire que ses hôtes peuvent lui offrir. On organise quelques chasses en son honneur, il y a des réunions à la Cour et dans les résidences royales autour de Turin. Le prince rend visite à la duchesse de Chablais, au prince de Piémont, au duc d’Aoste, il va voir les Condé qui sont retournés à Turin. Malgré tout, la vie reste monotone : les princes piémontais ne modifient point pour leurs hôtes les habitudes de leur vie familiale, et la mention des cérémonies religieuse continue à tenir dans leur journal plus de place que celle des bals :


Le jour de la fête de Saint-Maurice, écrit Charles-Félix, nous sommes tous allés au Saint-Suaire prendre le pardon. La comtesse d’Artois s’est assise sur ses talons.


D’ailleurs, le caractère léger du comte d’Artois ne lui permet guère de sympathiser avec ses rigides beaux-frères. Seul, le prince de Piémont s’était, au début, rapproché de lui, mais cette intimité ne dura pas, et si courte qu’elle eût été, elle avait été vue d’un mauvais œil par la famille de Savoie.


26 septembre. — Piémont commença à se plaindre avec nous de la trop grande familiarité du comte d’Artois. Pour moi, je n’ai pas été pris, parce que je n’ai pas jugé à propos de faire grande liaison avec quelqu’un que je savais être fort étourdi et insolent.

Fin 1789. — L’impertinence de cet étranger et l’ascendant qu’il prit d’abord sur l’esprit du prince de Piémont nous choqua tout à fait et nous fit lever le masque. Nous ne lui avons plus témoigné de respect, lui laissant