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ainsi au milieu de nous, en un lieu où se tient la Cour et où réside le Roi même.

1er juin. — On parle de la conduite scandaleuse que tient ici Mme de Polastron.


Mme de Polastron, modeste dans ses habitudes, recherchait la solitude et le silence plus que le bruit et l’éclat ; mais, malgré la réserve observée par le prince et son amie, ce rapprochement fut jugé avec sévérité par la famille royale, et Victor-Amédée, animé pourtant de dispositions plus indulgentes que ses fils envers les exilés, vit du plus mauvais œil cette nouvelle légèreté de son gendre.


13 mai. — Le Roi parle à l’oreille de l’abbé de Saint-Marcel de l’affaire de Mme de Polastron.


Le Roi avait d’autres préoccupations ; il s’inquiétait du flot toujours grossissant des émigrés : gentilshommes, prêtres, religieux, parlementaires, qui, en ces premières années de l’émigration, firent de Turin comme une anticipation de Coblentz. Il redoutait, en outre, des difficultés politiques, et ne voulait prendre ouvertement parti contre la Révolution que lorsque les grands États se seraient décidés officiellement contre elle. Aussi songea-t-il vers le milieu de cette année 1790, sans pourtant refuser l’hospitalité à son gendre, à éloigner les plus bruyans parmi les Français, et la famille de Condé elle-même.


26 mai. Le Roi dit qu’il avait résolu de purger ses États de tous les Français qu’il y avait ici, puisque tous leurs discours ne contribuaient pas peu à fomenter l’esprit de vertige qui règne ici ; que d’ailleurs la France commençait avoir de mauvais œil que les Condé restassent à Turin, et que pour éviter « la fluxion ? » qui nous allait menacer, il était nécessaire de les faire partir. Que, pour ce qui regarde le comte d’Artois et sa famille, il aurait continué à les garder près de lui pourvu qu’ils purgeassent aussi leur cour de bien des personnes qui ne convenaient pas ici.

27 mai. — Les Condé ne vinrent pas. Apparemment, ils commencent à soupçonner le malheur qui les menace. À dîner, le comte d’Artois était d’une humeur de chien et j’ai dit à Montferrat : « Notre homme se sent déjà le terrible tu autem qui lui roule sur le dos. » Le Roi le prit à part avec Piémont… d’Aoste nous raconta ensuite comment s’était passée l’entrevue du comte d’Artois. Il est rentré dans une telle fureur qu’il a déclaré que si les Condé partaient, il les suivrait parce que son honneur ne lui permettait pas d’abandonner un Français. On le laisse dire et on n’en fera ni plus ni moins. Plût à Dieu qu’ils ne fussent jamais venus ici !


Peut-être, en effet, le comte d’Artois fût-il parti avec les