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et les années devaient adoucir ce caractère un peu difficile et les malheurs courageusement supportés ensemble devaient peu à peu rapprocher les deux époux ; mais à l’heure où elle quittait la France, Madame ne songeait, semble-t-il, qu’à se retirer chez ses parens, au sein de cette maison de Savoie que l’amour-propre natal lui faisait juger bien supérieure à la maison de France et à toutes les races royales de l’Europe.

Monsieur ne s’opposait pas à son projet ; mais quelques difficultés entre Victor-Amédée et son gendre en avaient retardé la réalisation : le premier voulait composer à sa fille un entourage entièrement piémontais, le second exigeait qu’elle emmenât au moins quelques-unes de ses dames d’honneur.


10 mars. — Ou a dit que Monsieur ne voulait pas que Madame vint sans deux de ses dames ; ainsi qu’on ne la logera pas dans le Palais ; elle aura un hôtel à elle, comme sa sœur. On croit qu’une de ces dames sera Mme de Balbi.


Le 1er mai enfin, la comtesse de Provence arriva, et sa venue causa à son père comme à ses frères la joie la plus vive.


1er mai. — Madame a couché à Ast ; à six heures et demie elle arriva avec Madame d’Artois. Elle descendit de carrosse la première, se jeta aux pieds du Roi et lui baisa la main. Le Roi la releva et ils s’embrassèrent bien étroitement. Puis elle nous embrassa tous et le Roi la conduisit aux princesses. Nous sommes montés alors dans la chambre de la Reine, où elle témoigna son contentement.

Quoique je n’eusse que six ans quand elle est partie, je me suis rappelé très bien sa figure, et je ne la trouvais pas beaucoup changée, hormis qu’elle a grossi et que ses cheveux sont tout blancs. Elle est coiffée à boucles avec un bonnet blanc et une robe noire. Elle a de grands yeux et des sourcils noirs, le teint brun et une figure assez agréable et plus jeune qu’elle n’est en réalité, puisqu’elle est dans sa trente-neuvième année. Elle est fort petite, mais cependant pas autant que la comtesse d’Artois. Elle a beaucoup d’esprit et de fermeté et est de ces personnes faites pour jouer un rôle.


Le comte de Maurienne s’exprime à peu près dans ces mêmes termes :


1er mai 1792. — A quatre heures, nous avons assemblé nos messieurs pour l’arrivée de Madame parce que l’on avait décidé qu’ils devaient y être, ce qui est très naturel. A six heures passées, Madame arriva, nous l’avons reçue sous la porte... Elle a très peu changé, excepté qu’elle est grosse et qu’elle a les cheveux tout à fait blancs. Elle a reconnu plusieurs personnes. Après être montée en haut et avoir fait ses complimens, elle présenta Mme de Balbi, Mmes de Caylus et de Monléart, puis MM. de Virieu et de Béranger. Vers 6 heures trois quarts, elle alla chez elle et chacun chez soi. Madame vint souper avec les petits d’Artois.