Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 6.djvu/193

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Estallenchs étale les taches ramifiées de ses jardins d’oliviers, d’amandiers et de citronniers entre la mer et le beau massif du Galatzo. Bañalbufar resserre sur un espace encore plus étroit la marqueterie de ses admirables terrasses superposées. Tout autour, c’est une riche banlieue d’olivettes en escaliers ; puis, plus près du village, ce sont les vasques toutes menues, irrégulières et harmonieuses, d’une sorte de grande fontaine mythologique, comme on en voit sur quelques vieux Gobelins ; mais chaque vasque est remplie jusqu’au bord d’une terre dont la couleur brun-rouge dit la fécondité ; cette terre est sarclée, retournée, brisée, aplanie et fraîche comme le serait celle d’un vase qu’on vient de remplir. Elle est destinée à nourrir des légumes, des céréales, et principalement ici, à Bañalbufar, de la vigne.

Lorsqu’on contemple de haut tout ce paysage étagé, on découvre, aux niveaux supérieurs, deux ou trois de ces vasques qui, elles, sont bien remplies d’eau ; ce sont de vrais réservoirs étanches, maçonnés, que les cultivateurs construisent à frais communs, et dont ils distribuent les réserves selon les règles rigoureuses d’une organisation collective.

À Majorque, on sait pratiquer l’irrigation partout où elle est possible ; souvent les rigoles sillonnent les champs et les vergers ; les « norias » sont nombreuses et nombreux aussi en certains points, comme vers le centre de l’île, dans les environs de la Puebla, les laids moteurs métalliques à vent qui succèdent de plus en plus à ces « norias » trop primitives. Mais nulle part le désir et le besoin de l’eau ne requièrent des travaux aussi soignés et aussi dispendieux que dans la petite zone d’Estallenchs-Bañalbufar ; l’eau qui est amenée aux beaux bassins-réservoirs, comme celle qui en est parcimonieusement distraite pour les besoins de chaque minuscule morceau de terre, est souvent conduite en des chenaux maçonnés qui sont accrochés aux parois de roche, qui courent au flanc des murs, et qui rappellent, en plus réduites dimensions, certaines parties des fameux « bisses » du Valais.

Bref, je n’ai jamais observé un spécimen de cultures méditerranéennes, irriguées et en terrasses, qui soit aussi parfait et aussi apparemment parfait que ces tout petits jardins suspendus qui escaladent les marches de Bañalbufar.

Or c’est là, dans la Sierra rocheuse de l’Occident, où les terres productrices ne peuvent être que des îlots, perdus au milieu des croupes pauvres et perchés au-dessus des falaises ; c’est là