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aiguë et plus pénétrante. Le magnifique alexandrin qui suit :


La terre était riante et dans sa fleur première


traduit, — on n’y a peut-être pas fait attention, — le novitas florida mundi, une alliance de mots bien connue du poète Lucrèce. Et voici même une comparaison qui vient d’Homère, de cet Homère que Vigny, encore adolescent, s’exerçait à traduire en vers[1] :


Ils tombaient de sa bouche aussi doux, aussi purs
Que la neige en hiver sur les coteaux obscurs.


Les sensations visuelles fournissent assez peu. L’oreille, au contraire, entend les plus subtiles harmonies. Tous les bruits de la nuit arrivent jusqu’à elle, concertés et distincts. Sur une trame merveilleuse de silence et de sommeil courent la mélodie limpide et vibrante du rossignol, les modulations rauques de la colombe, les frôle mens d’aile de quelque autre oiseau attardé qui se glisse dans le feuillage, lus murmures voluptueux de la brise chargée de parfums et le parler mystérieux, passionné, pénétré d’émotion, de deux voix amoureuses.

Est-ce de Milton, est-ce d’Young que vient au poète son goût profond, presque exclusif, pour la douceur divine des ténèbres ? « Les heures de la nuit, — dira Stello, — sont un peu pour moi comme la voix douce de quelques tendres amies qui m’appellent et me disent l’une après l’autre : Qu’as-tu ? » Ce goût s’accorde, en tous les cas, avec le tour d’esprit et les secrètes préférences d’Alfred de Vigny, que le monde n’embarrasse pas, mais que la solitude enchante. Et c’est ici qu’il faut chercher le premier trait ou, si l’on veut, le point de départ de cette étrange horreur qu’inspireront un jour à l’homme mûr, désabusé, la sombre verdure des champs, l’eau sournoise, l’air offensant et le sourire insidieux de la vieille, de « l’affreuse aurore. »


Mais si la poésie est faite et vit surtout, comme l’a observé l’original critique Paul Bourget, d’une « association d’idées »

  1. L’un des « instituteurs » d’Alfred de Vigny, l’abbé Gaillard, faisait, parait-il, assez de cas de cette version d’écolier pour la rapprocher de la traduction de Pope.