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piteau byzantin, une colonne de cipolin. La chaire se dresse à droite sur de fines colonnettes, constellée de paillettes d’or, d’éclats de porphyre et de vert antique. Sous sa protection, le cierge pascal s’allonge pareil à un mince roseau sculpté. Subrepticement, comme pour aiguiser la sensation d’art qui me pénètre, un chant religieux, un chœur de caractère grégorien, parti de loin comme d’une seconde église, arrive à mes oreilles, atténué, purifié par la distance, avec des sonorités indécises, inattendues. Où suis-je ? et pour qui cette chapelle a-t-elle été décorée ? Pour des Grecs du Bas-Empire, pour des Byzantins décadens et raffinés, pour les nobles dames du Phanar et les porphyrogénètes, ou bien pour les princes du Nord, héritiers de Rollon et des pirates de la Baltique ? Car la palatine procède manifestement de Sainte-Sophie, au même titre que Saint-Marc de Venise ; elle semble née du caprice d’un César de Constantinople, épris de mysticisme, commandant à des artistes capables de matérialiser les rêves les plus extravagans.

Non loin du Palais-Royal, à l’extrémité de la ville, se rencontrent les restes de Saint-Jean des Ermites. Dès l’abord, je suis frappé de l’aspect à la fois pittoresque et mélancolique des lieux. C’est, au delà d’une grille, un jardinet dans un état de charmant abandon, avec un puits. Une allée en pente conduit à une étroite esplanade. En face, l’église de San Giovanni, construite en 1132 par les Normands.

Roger II venait de ceindre la couronne d’Italie avec l’adhésion du siège apostolique et malgré la protestation des Pisans. Il était le digne fils du fondateur de la puissance normande en Sicile. Les princes de cette maison firent preuve d’une sagesse politique peu commune. Si, à l’exemple des conquérans d’Angleterre, ils imposèrent l’obéissance aux vaincus et à leurs compagnons d’armes, plus enclins à la mansuétude, ils respectèrent les usages de la population conquise et se laissèrent gagner eux-mêmes par les séductions d’une culture raffinée. Ils suivirent en cela l’exemple des Arabes qui avaient possédé l’île avant eux.

Roger II apparaît dans l’histoire comme un prince à moitié oriental. À côté des chevaliers et des moines latins, on rencontrait à sa cour des artistes grecs et des poètes arabes. Une tolérance générale laissait aux vaincus leur langue, leurs lois et leurs autels ; mais l’administration royale, prévoyante et exacte, provoquait de toutes parts les efforts individuels qui font la