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Bastia, une sorte de bassin protégé contre les coups de mer par une jetée à coude. Je connais la ville ; elle est sans intérêt et je n’y débarque pas. Après avoir reçu la visite de quelques amis, le yacht reprend la route du Nord. De hautes montagnes granitiques souvent couvertes de forêts, au flanc desquelles s’attachent des villages en nids d’aigles et des tours génoises bâties pour repousser l’agression des pirates barbaresques, cachent l’horizon à gauche, tandis qu’à notre droite, au loin, dans la brume azurée, l’île d’Elbe profile sa silhouette indécise. « Toujours lui ! » pourrions-nous répéter avec Victor Hugo. Il est parti d’ici pour bouleverser l’histoire, et c’est là qu’il est tombé une première fois vaincu, mais non maîtrisé. La Corse et Elbe, ces deux îles voisines, ont été les témoins de son essor et de sa chute. Il trouva dans une troisième île les artisans de sa ruine et une quatrième, à l’autre bout du monde, entendit son dernier soupir.

Nous avançons sur une surface unie, mais voici le cap Corse. Allons-nous retrouver le mistral derrière le promontoire ? Non, le mistral s’est lassé, mais la mer, après la tourmente, reste houleuse. Des lames de fond nous soulèvent sans effort, tandis que le ciel, taché de petits nuages, est délicieusement nuancé et qu’un zéphyr gonfle à peine la voile que nous avons déployée par pure coquetterie, je pense. Le yacht file maintenant vers le Nord-Ouest ; mais, au moment où nous découvrons la terre ferme, les ténèbres commencent à nous envelopper. Sur nos têtes, les étoiles se lèvent une à une, puis par milliers. Elles scintillent avec un éclat grandissant, tandis que la planète Vénus, blanche comme Aphrodite, répand sur la mer une traînée lumineuse.

Cependant à l’horizon, au ras des flots, là-bas, un feu s’allume, puis un second, et encore un autre. Celui-ci est fixe ; celui-là paraît et disparaît tour à tour. Et voici que d’autres lumières, plus petites, plus vacillantes surgissent solitaires ou se groupent sur des points divers. Après les phares, ce sont les villages et les villas isolées qui s’illuminent.

Dans une heure, nous serons amarrés dans le port de Cannes ; la croisière est terminée.

Ferdinand de Navenne.