Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 6.djvu/390

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

injecté à un animal normal. Eh bien ! cet animal, qui n’a pas été anaphylactisé directement, est devenu, après avoir reçu le sang d’un anaphylactisé, presque aussi sensible à l’injection seconde que s’il avait été anaphylactisé lui-même.

Il en résulte ceci, qui est d’une importance fondamentale, que le sang contient la substance anaphylactisante et que par conséquent l’anaphylaxie est un phénomène d’ordre chimique.

Mais c’est un phénomène chimique rigoureusement spécifique, dû au conflit de deux substances qui par elles-mêmes sont innocentes et qui, lorsqu’elles se réunissent, deviennent un poison terrible. Les physiologistes connaissaient déjà quelque chose d’analogue. Il y a longtemps que Claude Bernard avait montré que l’injection d’amygdaline, substance qu’on retire des amandes amères, est inoffensive ; que l’injection d’émulsine, ferment qui se trouve aussi dans les amandes amères, est inoffensive ; mais que, si l’on injecte ces deux liquides simultanément ou à très peu de temps d’intervalle, on provoque des accidens graves immédiats, dont la cause est facile à trouver. L’émulsine en réagissant sur l’amygdaline donne naissance à de l’acide cyanhydrique, lequel est, comme on sait, un poison des plus actifs. Ni l’émulsine seule, ni l’amygdaline seule ne dégagent d’acide cyanhydrique ; mais qu’on les réunisse, et aussitôt l’acide cyanhydrique apparaît.

C’est tout à fait le cas de l’animal anaphylactisé. Il contient dans son sang une substance inoffensive qui n’est pas toxique, mais qui peut engendrer un poison (et que, pour cette raison, nous appellerons une toxogénine). Cette toxogénine, lente à se former, se produit pendant la période d’incubation, et elle n’est en quantité appréciable que quand la période de l’incubation est finie. Elle ne peut rien par elle-même, mais elle sera apte à développer une toxine très violente, dès qu’elle se trouvera en présence de la substance primitivement injectée. -

Alors des symptômes apparaissent brusquement, qui sont ceux d’un poison très violent, et ils paraissent être à peu près toujours les mêmes, quel qu’ait été l’albuminoïde employé pour l’injection première.

La rapidité de l’effet est prodigieuse. Pendant l’injection même, faite, je suppose, sur un chien, l’animal est pris de vomissemens et de diarrhées sanglantes. Il chancelle comme s’il était ivre. Il ne peut plus mouvoir ses membres. La pupille se