Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 6.djvu/408

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

que ce soit pour moi et pour notre enfant, de prendre plus de soins de votre personne, en faisant faire à Alessandro l’office d’écuyer tranchant avec le plus grand soin. Et si Alessandro ne le pouvait pas, je vous enverrai ou Antonio ou tout autre que voudra Votre Excellence, car je préfère courir le risque de vous mettre en colère contre moi que celui d’avoir à pleurer ensemble, moi et notre enfant.


Et en post-scriptum de la main de la marquise :


Mon Seigneur, que Votre Seigneurie ne se moque pas de ceci mien, et ne dise que les femmes sont poltronnes et ont toujours peur, car la méchanceté de ces gens-là est encore plus grande que mes craintes et que le courage de Votre Seigneurie... Celle qui désire voir Votre Seigneurie, Isabella, manu proprio. — Mantoue, 23 juillet 1502.


Malgré ces objurgations, le marquis Gonzague demeura imprudent, car il était brave, et, à peu près seul de son temps, prenait la guerre au sérieux. Un jour, combattant contre les Vénitiens, après avoir été longtemps leur capitaine général, il fut surpris dans une ferme, près de Legnago, n’eut que le temps de sauter par la fenêtre, et de se réfugier, sans armes, dans un champ de maïs où, cerné, il dut se rendre. On l’amena en triomphe à Venise et on l’enferma dans le meilleur cachot qu’on put trouver au Palais des Doges, dont on renouvela les barreaux pour le bien tenir. Il s’agissait de le tirer de là. Isabelle remua ciel et terre, je veux dire le spirituel et le temporel. Les deux faisaient la sourde oreille, et il ne semblait pas que l’on fût très pressé de voir bondir hors de sa cage le fauve que les Vénitiens y avaient enfermé. Il n’inspirait proprement confiance à personne, et pour avoir combattu sous beaucoup de bannières différentes et trahi presque autant de bannières qu’il en avait défendues, nul ne savait au juste si, le délivrant, il allait délivrer un ami ou un adversaire. Si bien que Louis XII et Maximilien, sollicités par la grande marquise, demandèrent, avant de rien entreprendre, qu’elle remît, entre leurs mains, son fils aîné Federico comme otage pour répondre du père. Son fils otage ! Une louve qu’on veut priver de son louveteau ne pousse pas un hurlement plus furieux qu’à cette idée Isabelle d’Este :


Quant au projet touchant notre fils aîné Federico, outre que c’est une chose cruelle et presque inhumaine pour quiconque sait ce que signifie l’amour d’une mère, il y a beaucoup de causes qui la rendent difficile et impossible. Quoique nous soyons tout à fait certaine que sa personne serait en sûreté et protégée par Sa Majesté, comment pourrions-nous permettre