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« la fable de la Aille. » Je sais que je vous ai acquis beaucoup de nouveaux amis, pour votre bien comme pour le mien, et que je me suis conduite comme je devais le faire et comme j’ai toujours l’habitude de me conduire, car, grâces en soient rendues à Dieu et à moi-même, je n’ai jamais eu besoin ni d’être dirigée par d’autres, ni qu’on me l’appelle comment je dois gouverner mes actes. Et quoiqu’en d’autres choses, je ne compte pour rien, Dieu m’a départi cette grâce pour laquelle Votre Excellence me doit une aussi grande reconnaissance que jamais mari a pu en devoir à sa femme, et même si vous m’aimiez et honoriez autant que la chose est possible, vous ne pourriez jamais trop payer ma fidélité. C’est ce qui vous fait dire quelquefois que je suis orgueilleuse, parce que, sachant combien je mérite de vous, et le peu que j’en reçois, je suis tentée, à certains momens, de changer ma nature et d’apparaître différente de ce que je suis. Mais, même si vous deviez toujours me traiter mal, je ne cesserais jamais de faire ce qui est bien et, moins vous me montrez d’amour, plus je vous aimerai toujours parce que, de fait, cet amour est une partie de moi-même, et je suis devenue si jeune votre femme que je ne puis me souvenir d’avoir existé sans lui. Ceci étant, je pense que, sans encourir votre déplaisir, je puis être laissée libre de remettre mon retour à une quinzaine, pour les raisons que j’ai déjà expliquées. Ne soyez pas en colère contre moi, et ne dites pas que vous ne croyez pas que j’ai envie de vous voir, comme je l’ai exprimé dans mes lettres, car si mon désir sur ce point était satisfait, vous me laisseriez vous voir beaucoup plus souvent que je ne le fais, à Mantoue. Je me recommande une fois de plus à Votre Excellence et je vous demande pardon d’une si longue lettre. De quelqu’un qui vous aime autant que soi-même. — A Plaisance, le 12 mars 1513. ISABELLA MARCHESA DI MANTOVA.


On peut douter qu’une femme moins habile et moins parfaite fût venue à bout du terrible condottiere. Mais sous sa rude écorce, il était bien trop fin pour ne pas sentir tout le prestige et la force qu’Isabelle d’Este apportait à son petit Etat de Mantoue. A sa mort, qui arriva en 1519, il le reconnut hautement, dictant à son fils Federico l’éloge de la grande marquise et déclarant qu’il avait toujours trouvé en elle « un génie merveilleux, capable de toute entreprise, si haute qu’elle fût. » Les années d’épreuves n’avaient pas été inutiles. Isabelle d’Este avait dompté son mari.

Maintenant, ses frères. La famille d’Este, souveraine de Ferrare, étant une famille princière, se composait d’enfans légitimes et d’enfans naturels, ceux-ci presque autant considérés que ceux-là et très souvent mieux doués et plus séduisans. Tel était du moins l’avis de la belle Angela Borgia, suivante et parente de Lucrèce, qui, courtisée à la fois par le cardinal Ippolito