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près, le plus lourd devoir dont un homme puisse jamais se charger. Et ainsi je sens que j’ai aujourd’hui l’obligation, aussi bien envers ceux qui se sont fiés à moi qu’envers le public tout entier, de rappeler exactement les circonstances dans lesquelles j’ai agi, et la poussée graduelle en moi des convictions qui ont fait de ma vie ce qu’elle a été.


D’où le lecteur français serait tenté de conclure que M. Harrison a créé dans son pays l’une de ces diverses sectes, — ou « congrégations, » — protestantes qui, de nos jours encore, surgissent çà et là, afin de poursuivre sous une forme nouvelle la lutte séculaire des « Dissentants » contre l’autorité temporelle et spirituelle de l’Église Établie. Mais non : la « Réforme religieuse » dont M. Frédéric Harrison a fait depuis cinquante ans « l’occupation de sa vie » est, simplement, l’introduction en Angleterre de la doctrine positiviste d’Auguste Comte. C’est au service de cette doctrine que le vénérable essayiste et conférencier anglais a consacré un demi-siècle d’efforts qui, d’ailleurs, ne semblent pas avoir produit d’autres résultats appréciables que de mettre universellement en relief la noble et sympathique figure de M. Harrison lui-même.

Ou plutôt, il s’en est fallu de peu, — à en croire du moins ses Mémoires autobiographiques, — que l’une des nombreuses campagnes entreprises par lui au nom de sa foi positiviste produisît vraiment un résultat d’intérêt plus général, et d’une importance historique incomparable. En janvier 1871, M. Harrison, accoutumé depuis longtemps à chérir et à admirer la patrie d’Auguste Comte, a formé le projet de décider le gouvernement et le peuple anglais à venir ouvertement au secours de la France. Avec l’appui de son petit groupe de coreligionnaires, bientôt grossi d’une foule d’hommes politiques et d’écrivains appartenant à d’autres écoles « indépendantes, » il a commencé une série de meetings, de conférences, de brochures, et d’articles de revues ou de journaux qui, nous assure-t-il, ont exercé une action très profonde sur l’opinion de ses compatriotes.


Il avait semblé à quelques-uns d’entre nous que l’Angleterre avait, à la fois, le devoir absolu et les moyens d’empêcher l’anéantissement plus ou moins complet de la France. J’affirmais, pour ma part, que « l’Angleterre était tenue de se jeter au secours de la France, avec toutes ses forces, morales et matérielles, navales et militaires. » Je demandais que la flotte anglaise versât abondamment sur la France de l’argent, des canons, et des munitions. Et puis, si cela ne réussissait pas, je proposais l’envoi d’une armée anglaise qui se trouverait retranchée quelque part en Bretagne, dans un endroit facile à défendre, et couverte par notre flotte comme dans un nouveau Torrès Vedras. Avec une telle assistance, la France pourrait