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plus spontanée. Aujourd’hui, on fait une collection pour cent raisons, dont la moindre, peut-être, est le goût de ce qu’on collectionne. De son temps, c’était l’unique raison et, bien que la grande marquise ne fût ni la première, ni la seule à rechercher les beaux antiques, on ne peut attribuer sa passion à l’esprit d’imitation, ni de lucre. Mais, aussi, quel temps pour les collectionneurs !

Se figure-t-on les yeux des hommes du XVIe siècle, lorsqu’ils virent lever de terre la moisson de marbres qui remplissent aujourd’hui le Vatican ? Il y a des fêtes qui se renouvellent, mais ce spectacle-là, le monde ne l’a eu qu’une fois. Un peuple de statuaires était au travail, plusieurs générations s’étaient usées à donner à cette pierre et à ce bronze les apparences de la vie, du mouvement, des grands enroulemens de gestes et de plis, un bel équilibre de forces et de masses, à faire sentir le jeu des muscles par l’affleurement, la plénitude de la santé, en des attitudes qui fissent honneur au corps humain, — sans parler de toutes sortes de procédés à trouver, pour faire un bronze d’une seule coulée, pour en détailler les finesses. Et tout d’un coup, tandis qu’ils cherchaient comme avaient cherché leurs pères et leurs aïeux : les auteurs des choses dures et raides des cathédrales que nous admirons, nous, mais qu’ils n’admiraient pas, parce qu’ils voulaient aller plus loin, voici que la chose rêvée sortait de terre : — le groupe idéal qu’ils cherchaient jaillissait radieux, jeune, parfait, complet, sans un défaut. L’Apollon était déterré dans une ferme de Grotta Ferrata, appartenant au cardinal de la Rovere. Le Dieu fleuve, le Tibre, avec la louve allaitant Romains et Rémus étaient découverts dans les fondemens d’une maison, près du couvent des Dominicains, à Santa Maria sopra Miner va. Le Laocoon sortait du Tibre sous les yeux de Michel-Ange. Un paysan bêchait son jardin dans le Campo di Fiori : il mettait au jour l’Hercule tenant l’Enfant avec la peau du lion ! On ne donnait pas un coup de pioche sans mettre à nu un chef-d’œuvre… C’était comme si les morts couchés sous la terre avaient, enfin, pitié des efforts des vivans et poussaient, peu à peu, vers eux l’ouvrage de leurs mains, pour leur dire : Ce que vous cherchez, nous l’avions trouvé : le voilà !

Toutefois, le métier de collectionneur n’était pas sans lutte ni danger. Il fallait, d’abord, prendre garde aux faux, car si