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bateaux de signaler les munitions âgées de plus de six ans.

On en était là quand la catastrophe de l’Iéna vint jeter une terrible suspicion sur l’efficacité des mesures prises. Avant l’accident, le malheureux commandant Adigard et beaucoup d’autres officiers de marine s’étaient officiellement plaints, à diverses reprises et dans des termes prophétiques, des signes d’instabilité donnés par les poudres à bord et les avaient rattachés à la chaleur excessive des soutes. On s’empressa, après la catastrophe, d’organiser la réfrigération de ces dernières. Elles ne devaient pas dépasser 30° ; on abaissa cette limite à 25° pour les bâtimens à mettre en chantiers. Les dispositions ont été prises à cet effet pour les cuirassés du type Danton et les navires postérieurs. A chaque fois que la question revient devant eux, les services producteurs réclament un nouvel abaissement du maximum toléré : ils voudraient des bateaux construits pour les poudres, pour s’épargner de faire des poudres appropriées aux bateaux.


IV

Tout cela n’a pas empêché l’explosion de la Liberté. Mieux encore : on avait pensé d’abord qu’on devait l’attribuer à des poudres anciennes, suspectes, embarquées pour peu de temps à fin de consommation rapide en exercices : elle a été reconnue imputable à des poudres relativement récentes datant de 1906 et à 8 pour 100 d’alcool amylique, c’est-à-dire les mieux garanties que la marine eût encore reçues pour constituer son stock de combat. Le fait démontre l’inanité des précautions antérieures et prouve qu’elles reposent sur une base erronée ; il donne raison aux voix compétentes qui depuis longtemps, et depuis l’Iéna surtout, proclamaient la nécessité de revenir à des conceptions moins théoriques. Ces exigences nouvelles, elles émanent des services utilisateurs, des hommes de pratique soumis aux responsabilités matérielles : artilleurs de terre et marins. Les artilleurs, émancipés dès 1896 par la possession d’une poudrerie à eux, celle du Bouchet, les ont satisfaites en ce qui concerne leur matériel. Les marins, tenus dans la dépendance par une organisation des services publics mal conçue, n’ont pu qu’adresser à leurs ministres successifs de vaines protestations et des cris d’alarme sans écho.